La terre des fils, Gipi, Futuropolis

La terre des fils, par Gipi: leçon de survie parentale

Soyons honnête. J’ai été surpris quand j’ai lu les premières pages de cet album. Je l’ai feuilleté initialement sur le simple nom de son auteur, Gipi. Quand j’ai découvert qu’il nous offrait une histoire de science-fiction intense et violente, un « survival », j’ai été complètement surpris. Je n’attendais pas l’artiste dans ce champs d’écriture. Mais force est de constater qu’il a eu bien raison de sortir de ses pratiques habituelles.

Vivre ou survivre?

Deux enfants qui chassent un chien. Ils ne portent qu’un simple pagne. Autour d’eux, peu d’humains. Quelques squelettes à même le sol. Ils rejoignent leur père avec le résultat de leur chasse mais lui les engueulent. Ils n’ont pas préparé l’animal pour qu’ils puissent manger toute sa chaire. Ils vont devoir se contenter de vendre sa peau à Anguillo, leur voisin. Le père est en colère.

Comment élèveriez-vous vos enfants dans un monde détruit?

Telle est la question de fond de tout cet album. Une grande leçon d’éducation en milieu hostile. Quels principes conserver alors que la civilisation n’est plus?

Gipi a choisi de ne pas expliquer son monde. De ne pas chercher à dévoiler une cause, une raison. Deux phrases en début d’album résolvent donc ce point: « Sur les causes et les motifs qui menèrent à la fin on aurait pu écrire des chapitres entiers dans les livres d’Histoire. Mais après la fin, aucun livre ne fût plus écrit. »

Ce faisant, il décide de ne plus se focaliser que sur l’instant présent, comme son personnage. Certes, ce père pense au futur, mais non pas comme une construction pour recréer quelque chose. Pour lui, le futur, c’est sa propre mort. Ce doit être la survie de ses fils. Alors il les instruit pour survivre.
Sa voie, l’absence de sentimentalité. Il forgera ses fils à la dur. Il va supprimer certains mots qu’ils ne peuvent plus employer. Comme le verbe aimer. Ses fils le détestent, mais lui maintient ses pratiques. Pour leur assurer un avenir.

La terre des fils: un monde de non-dits

Gipi a visiblement choisi de travailler l’extrême cohérence de son monde. Il nous place dans une position dans laquelle nous ne savons que le minimum de choses, comme les deux fils. Nous faisons les mêmes découvertes qu’eux, entrant en pleine empathie dans leur quête de compréhension de ce père. Parce qu’évidemment, la crainte du père finira par advenir et il faudra bien qu’ils se débrouillent sans lui.

Ces non-dits ne se brisent qu’une seule fois dans le récit. Une fois, on assiste à une scène « d’intimité » du père. Gipi nous dévoile qui il est et pourquoi il élève ses fils de cette façon. Nous savons donc ce que les personnages cherchent. On les voit s’éloigner, être trompés, mais on ne peut les aider. Parce qu’ils sont seuls et que nous lecteurs, ne pouvons être un père de remplacement.
Le silence se rétablira dès lors qu’il faudra établir qui était la mère des deux jeunes gens.

Ces non-dits sont donc l’occasion de découvrir de nouvelles organisations sociales. Celles issues de la fin du monde. Gipi n’explique pas, il donne à voir et il nous laisse interpréter. Cette religion étrange, sur quoi est-elle basée? Ses références multiples aux réseaux sociaux, quel sens ont-elles? En ont-elles même un, de sens? A nous de voir, de penser, d’extrapoler. Gipi ne nous facilitera pas le travail.

Gipi: un dessinateur qui oeuvre au couteau

Ce monde que nous présente le bédéiste italien est violent. Son dessin est au diapason en toutes circonstances.
C’est du Gipi, indéniablement, mais il y a un ton, un tranchant dans son trait, qui n’est pas habituel. On le sent plus dans l’énergie, dans la hargne. Ce monde est agressif, son dessin transmet cela à chaque case. Ses noirs ne sont jamais intenses. Ils sont composés d’une multitude de traits. Les ombres même semblent coupantes. Sur certaines cases, on penserait presque que l’artiste a pris une carte à gratter noire (non, pas un morpion ou un millionnaire) et qu’il a enlevé de la matière au couteau pour faire ressortir les blancs. Ce n’est probablement pas le cas, mais voilà le sentiment qu’il donne.

Et puis on a un dessin qui ne fait aucune concession, aussi dur que le monde qu’il met en scène.

La terre des fils, un grand album de bande dessinée

Impressionnant, cet album, La terre des fils. A tous points de vue. Par son accord dessin/ scénario, par la sensibilité cachée de ses personnages, par la dureté du monde qu’il nous donne à voir. On ressort de la lecture bouche bée, avec presque autant de questions qu’au début de l’album. Avec une seule réponse, la certitude d’avoir refermé un GRAND de la bd franco-belge.

ET SI ON DONNE UNE NOTE?

18.75/20

Titre: La Terre des fils
Auteur: Gipi
Editeur: Futuropolis
Date de publication: Mars 2017
Nombre de pages: 289

Futur Post-apo en Bande dessinée

4 réflexions sur “La terre des fils, Gipi, Futuropolis

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