Yallah Bye! (La BD de la Semaine)

Yallah Bye

Titre: Yallah bye!
Scénariste: Joseph Safieddine
Dessinateur: Kyung Eun Park
Editeur: Le Lombard
Date de publication: 16 janvier 2015

 

Il y a des albums que parfois, on n’arrive pas à chroniquer immédiatement après la lecture. Un bon nombre ne le sont jamais, parce qu’ils nous ont laissé au final assez indifférent. Mais quelques uns, une poignée, finissent par trouver place dans ces colonnes, et avec ceux là, on est généralement dans de l’excellente bande dessinée. Ca vous étonne que je vous propose cet album aujourd’hui, du coup? Ca ne devrait pas…

2006. Alors que la France se passionne pour le coup de boule de Zidane à Materazzi, une petite famille française embarque pour le Liban, pour quelques semaines de vacances. Mustapha et Anna partent visiter de la famille, avec leur petite Mélodie et leur cadet , Denis, tandis que l’aîné, Gabriel, reste encore un peu en France pour préparer un casting. Mais à peine arrivée à Tyr, la famille découvre qu’un accrochage entre le Hezbollah et l’armée israélienne a eu lieu. Et les israéliens bombardent en représailles. Alors qu’Anna veut tout faire pour partirMustapha refuse de céder à la peur et de quitter son pays de naissance.

 

Peut-on approcher ainsi la perfection? Je dois dire que le scénario de Joseph Safieddine en approche. Un sujet complexe? Il prend près de 180 pages pour le traiter. Un sujet épineux ET complexe? Il nous offre une plongée limpide comme de l’eau de roche. Impliquer le lecteur? Il nous offre une famille à suivre qui nous est à la fois insupportable, appréciable et pour laquelle on craint de bout en bout. Je pourrai continuer à lister encore un moment tout ce qu’on peut attendre d’un grand scénario, Yallah bye! doit respecter tous les critères. Alors je détaille un peu.
Le sentiment de peur pour les personnages, c’est sans doute cela que je retiens le plus au final. J’ai eu peur pour eux, à tel point que j’ai sans doute du lire une partie de cet album en apnée. On est au cœur des combats, on vie avec eux l’horreur de cette situation qui nous est pour la plupart complètement inconnue (tant qu’à faire, si ça pouvait le rester). Encore que combats… Non, on est au cœur des lâches bombardements, ceux qui, comme le fait dire Safieddine à un personnage, renforce encore et toujours l’influence du Hezbollah au lieu de le museler. Tant que ça foire, on continue, ça doit être la devise de l’armée israélienne, qui ne règle jamais rien depuis soixante ans et n’en fini pas de se créer de nouveaux ennemis. On est dans l’injustice la plus complète. On le pense pour la famille de héros, mais sentiment beaucoup plus intéressant, on le ressent aussi pour tous les personnages que l’on croise. L’empathie est là, presque immédiatement. C’est vous dire la force de ce récit. Qui n’a rien de misérabiliste ou d’angélique. On est dans une réalité triste, d’un pays qui vie sous la menace des bombardements, de libanais qui ont la triste habitude des explosions.
Et à ce titre, le duo Anna/ Mustapha est juste magnifique. Ils sont aussi insupportable l’uns que l’autre. Vous aurez envie de baffer la mère poule, incapable de faire preuve de la moindre parcelle de courage face à la situation, et vous aurez envie d’adresser le même châtiment au père, qui préfère se voiler les yeux sur la situation pour ne pas devoir rejeter ce pays qui représente tant pour lui. Et combien même ils sont totalement insupportables, on a peur pour eux, on s’attache à eux. On s’imagine faisant preuve de cette lâcheté si simple comme Anna, prête à tout quitter pour protéger ses enfants, quitte à laisser derrière elle la famille de son fils. On s’imagine trépignant de remords et de rage comme Mustapha, face à ces massacres injustes qu’il doit subir tout en essayant de ne pas plomber le moral de sa famille. Ils sont deux regards, si loin et pourtant si proche.
Et puis pour bien entrer en empathie avec eux, vous avez Gabriel, le fils aîné resté en France, qui ne peut avoir d’informations que lorsque le téléphone portable de son père veut bien fonctionner, qui tente tout mais ne peut rien faire pour eux. On le voit se décomposer peu à peu. Juste en regardant la télévision mettre en scène un conflit qu’il ne subit pas.
Un merveilleux triangle qui nous emporte au plus près de la tragédie, jusqu’à la résolution de l’histoire.

Un scénario grandiose, quand il s’accompagne d’un superbe dessin, on ne peut que savourer la réussite. Imaginez que c’est un coréen qui met en scène les aventures de cette famille franco-libanaise (histoire en partie vrai, j’ai oublié de le préciser). On pourrait croire ce grand écart culturel improbable et pourtant il fonctionne. On avait découvert l’artiste sur Le roi banal, chez Casterman avec Antoine Ozanam au scénario (chronique présente sur ce blog), mais là, l’artiste a passé un cap impressionnant. Son dessin est fluide, souple, plein d’énergie, mais pas comme on peut le lire dans les productions asiatiques. Il se trouve au croisement entre le dessin de presse, le carnet de voyage et le franco-belge classique. C’est accueillant comme un classique de la bd belge, c’est acide comme un dessin de presse et descriptif comme un carnet de voyage. C’est juste tout ce qu’il fallait pour soutenir un tel scénario. Une association parfaitement réussie.

 

C’est bon, j’arrête d’en jeter et vous criez grâce? Vous allez chercher ce livre? Je l’ai écrit dans Zoo, mais pour moi, ce livre comptera parmi les meilleurs ouvrages de l’année. On comprend tout à la guerre du Liban, comme si on avait suivi un cours de géopolitique, avec le plaisir d’un bon roman. Qu’est-ce que vous voulez de plus? Instructif, prenant et distrayant… Ah si, tiens, j’en ai encore rajouté… Que voulez-vous, quand on a le sentiment de tenir une pépite entre les mains, il faut savoir la défendre.

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8 réflexions sur “Yallah Bye! (La BD de la Semaine)

  1. La perfection ? Rien que ça ? Avec un tel sujet c’était loin d’être une évidence… Du coup, je suis tentée tu pense bien ! 😉

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