Le maître d’armes (Lundi One-shot)

Le maître d'armes

Titre: Le maître d’armes
Scénariste: Xavier Dorison
Dessinateur: Joël Parnotte
Editeur: Dargaud
Date de publication: Octobre 2015

Cette rentrée littéraire 2015 fait la part belle, côté bande dessinée, aux grands scénaristes grands public de ce XXIe siècle. Lupano et Zidrou avaient largement ouvert le bal, il manquait Xavier Dorison qui avait juste attendu un peu pour porter sa propre estocade. Parce qu’avec ce nouvel album, il frappe fort. Très fort.

1531. Hans Talhofer Stalhoffer est le maître d’armes du roi de France, François 1er. Alors que l’Europe commence à se déchirer entre catholiques et Huguenots, un autre conflit se prépare. Un conflit de symboles, de valeur. Qui de l’épée ou de la rapière servira désormais le roi de France? Stalhoffer combat le Comte Maleztraza. Un duel qui va avoir des conséquences des années plus tard. Un combat qui pourrait bien trouver de l’écho dans la confrontation religieuse qui se joue en parallèle.

C’EST QUI LE PATRON?

Xavier Dorison revient montrer à tout le monde qu’il est le taulier de la bd franco-belge grand public et de genre. Son œuvre est d’ors et déjà solide, mais ce nouvel album ne fait que la renforcer. Imaginez quand même. Le scénariste parvient à mener de concert une réflexion sur les guerres de religions, qu’il croise avec une autre réflexion sur la fin de la chevalerie dans le royaume de France. Et il y donne du sens, du sens commun. Outre qu’il fallait avoir l’idée, il fallait avoir la maîtrise pour mettre en scène de tels thèmes.
Soyons clair, Talhofer n’existe pas en lui-même. De même que la première Bible en Français n’est pas des années évoquées dans l’album. Mais c’est la grande force de Dorison sur cet album: il manie la grande Histoire, la romance, la recompose, et lui donne un vernis de crédibilité extrêmement tenace. J’ai du aller faire quelques recherches, pour éclaircir tout cela.
Et puis, c’est une histoire à fort contenu politique, me semble-t-il. Et avec des parallèles vers d’autres cultures. Le maître d’armes, c’est la fin d’un monde. On quitte le moyen-âge, on entre dans la renaissance. Les idées se développent, on sort du seul modèle chrétien catholique, et les mœurs évoluent. La Réforme prend place, les palais laissent place aux châteaux forts, les chevaliers laissent place aux spadassins. Talhofer et Maleztraza ne font que s’affronter autour de cette idée de monde nouveau. C’est tout l’enjeu de cet album. Un monde nouveau, suivant le même processus que celui que connût le Japon au début de l’ère Meiji. Talhofer est une sorte de samouraï européen. Porteur de valeurs sur le combat, défenseur d’une conception idéologique où la noblesse est guerrière, et où l’aristocratie est au sommet. Mais comme pour le Japon, c’est par le développement des marchands que la chute se fera. Par le pouvoir de l’argent, contre celui des armes. La rapière est une arme de courtisan, simple à manier, efficace pour tuer sans fioritures. Comme les armes à feu remplacèrent les katana au Japon et mirent fin à la caste aristocratique des samouraï. Et c’est là que tout l’enjeu politique se fait, dans l’oeuvre de Dorison, et que le débat peut s’instaurer. Il présente la Réforme, comme un moyen pour le peuple d’accéder à la parole de Dieu, à la Bible, et donc ainsi, au Pouvoir politique. Le personnage de Casper est très clair à ce niveau là. Lui-même formule cet objectif. La Réforme serait l’émancipation du peuple. Or, ainsi que le sociologue Max Weber en fit la démonstration dans son ouvrage L’Ethique Protestante et l’esprit du capitalisme, en 1904, cette Réforme a permis l’épanouissement non du peuple et des petites gens, mais de la Bourgeoisie qui trouva en ces nouvelles valeurs religieuses, les bases de son développement et de sa prise de pouvoir jusqu’à l’avènement des premières Républiques européennes modernes.
Alors, où est la libération réelle des masses? Si ce n’est pas l’épée ou la rapière, par le catholicisme ou le protestantisme? Je vous laisse faire vos réponses. Il me semble qu’une telle lecture de l’Histoire et de l’évolution du destin des peuples a un nom. Le Matérialisme Historique. Coucou Karl Marx! Vou notez juste jusqu’où nous emmène Xavier Dorison dans le potentiel de réflexion?

UNE DECOUVERTE GRAPHIQUE QUI CLAQUE LE BEIGNET

Ah oui, après avoir invoqué les grands penseurs du XXe siècle, laissons nous aller à un peu de trivialité. Parce que bon sang, Joël Parnotte, il est juste impressionnant sur ce one-shot. J’avais vu passer le sang des Porphyres, sa précédente série, et la comparaison est sans appel. Il a considérablement rehaussé son niveau de jeu. A mon sens il se place à côté des plus grands, d’un Ralph Meyer, d’un François Boucq. Avec un dessin très sombre, qui travaille beaucoup les hachures pour donner de la texture et du volume à ses personnages et décors. Et avec un sens incroyable de la mise en place des scènes d’action. Les combats sont bluffants, autant le premier duel que la magistrale séquence de combat dans la montagne. L’énergie, la vitesse, la puissance. Tout est là, tout passe par le dessin. C’est juste impressionnant. Une édition de luxe noir et blanc existe. Si elle n’était pas si chère, je me jetterai dessus, parce que je pense que les planches sans couleur doivent être encore plus impressionnantes.

Je vais être clair, pour conclure cette chronique. Le maître d’armes est un TRES sérieux concurrent au titre de meilleur album de l’année. Réussir à mêler action, fresque historique, philosophie et politique, avec un dessin d’une puissance incroyable, cet album a tous les arguments pour y prétendre.
Toi lecteur que les combats et le réalisme gore pourrait gêner, j’espère que tu m’as lu jusqu’ci. Car je voudrai juste rappeler combien la métaphore de la violence, permet de poser les plus justes questions. Comme un Tarantino le fait au cinéma. Passez outre cet à priori, vous tenez là une lecture TRES forte.

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19/20

Le maître d'armes_ planche

9 réflexions sur “Le maître d’armes (Lundi One-shot)

  1. Ta réflexion est intéressante et vient en perpendiculaire de la mienne. Je n’avais pas pensé au Matérialisme Historique. Bien joué !

  2. Je pense que je n’aurai pas le temps de faire l’interview du dessinateur à son passage à Rennes. Même pas sûr que j’ai le temps de passer le voir en dédicaces.

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