Hub: A deux pas du Vide (Interview)

HUB_©Olivier_Roller

Saint-Malo 2014, ce fût aussi l’occasion de faire des rencontres au delà des nouveautés récentes. L’occasion d’aller vers un artiste, au moins, qui n’était pas sous les feux de l’actualité. Hub, créateur de la série Okko, était de ceux-là. Alors que nous avions habité la même région pendant des années, jamais nous ne nous étions rencontrés. Malgré nos passions commune. C’est désormais chose faites. Soyez les bienvenus dans l’empire du Pajan.

 

Hub, tu es en train de réaliser le dernier tome de la série Okko, le deuxième tome du cycle du Vide. Est-ce que tu ressens une pression particulière au moment de lâcher le héros qui t’a fait connaître?

Un petit peu. Mais la pression c’est pas de le lâcher, ça c’était prévu depuis le début avec les cinq éléments, le traité des cinq roues de Musashi… J’avais basé ma structure sur ce modèle pour les diptyque. Non, la pression, c’est sur ce que je vais faire après. Lâcher mes personnages, ça, j’aurai un petit pincement au coeur à la fin de mes planches. Mais l’après… Le cycle du Vide porte bien son nom, il y aura un mini deuil à faire, mais derrière, qu’est-ce qui va se passer? Pour l’instant il y a encore pas mal d’interrogations.

Est-ce que tu as le sentiment d’avoir pu écrire tout ce que tu voulais, avec ces dix tomes?

Non. Non… J’ai le sentiment d’avoir écrit des choses mais tout, non. Le côté total, pour moi c’est un sentiment impossible à atteindre, une sorte d’utopie derrière laquelle je cours. J’essaye tout le temps de me perfectionner, mais sans avoir le sentiment de parvenir aux fins auxquelles j’aspire. Autant au niveau graphisme que scénario. Mais l’univers japonais est tellement riche que j’imagine parfaitement pouvoir écrire d’autres histoires. Je ne sais pas si je le ferai. Mais j’ai quand même raconté une bonne partie de ce que je voulais dire. La bande dessinée européenne se prête aux ellipses. Pas au survol,hein? Mais on aborde que certaines choses, en effet, sur ce genre d’histoires.

Aujourd’hui, avec les séries qui fonctionnent, il y a une tendance à proposer des séries dérivées. Est-ce que tu en as eu envie toi?

Je ne l’exclue absolument pas sur cet univers, mais pas forcément avec le même groupe. Il y aura des personnages qui ne seront plus accessibles, mais je ne me ferme pas la porte. C’est un univers qui est très riche et j’ai encore envie de raconter des choses. Mais je pense que je vais faire une pause. Après plus de dix ans sur cette série, j’aspire à me reposer pour peut-être ensuite revenir de plus belle. J’ai une pression de mon éditeur qui aimerait, mais j’aspire aussi à raconter d’autres histoires. J’ai une grande passion pour la civilisation japonaise, mais d’autres époques, d’autres types d’histoires m’intéressent. Je ne veux pas être catalogué juste comme le spécialiste du Japon ou s’amusant à dessiner le Japon.

Aslak tome 1Tu as déjà essayé de te diversifier un peu. Il y a la série Aslak que tu as co-scénarisé, comment as-tu mené les deux séries de front?

C’était presque au quotidien. Avec Emmanuel Michalak qui m’aide au story-board d’Okko et que je vois régulièrement, et qui est le dessinateur d’Aslak, quand on ne parle pas d’Okko, on parle d’Aslak. Même souvent on saute de l’un à l’autre. Aslak c’est pour moi une récréation. Ca m’a permis de m’évader un peu de l’univers nippon et de partir sur un drakkar vers d’autres horizon, avec un travail en groupe plus important. Parce que même si Michalak et Sophie Li m’aident sur Okko, une grosse partie de l’année je fais un album seul. Ce côté solitaire je voulais le casser un peu, et Aslak me permet cette expérience là et c’est pas mal pour mon équilibre. Je m’amuse énormément.

Trois tomes sortis, est-ce que tu sais déjà combien vous en ferez en tout?

Bien sûr. Il y en aura six. Chaque fois que je pars sur une série, une histoire, j’envisage tout le temps la fin. Je pense que c’est compliqué, une fin et qu’il faut savoir l’anticiper si l’on veut pouvoir terminer sans laisser perplexe le lecteur. Alors pour l’instant c’est de la théorie, je ne l’ai pas encore fait. Mais pour Aslak comme Okko, j’essaye d’avoir une idée précise. Je ne ferme pas toutes les portes, je me garde des aérations pour de nouvelles idées.
Ca ne doit pas être bancal. Les éléments que l’on a commencé à mettre à droite et à gauche, doivent se réunir et aller dans une certaine continuité. J’essaye d’avoir une cohérence. Ce n’est pas simple mais c’est intéressant.

Tu savais combien de tomes tu voulais pour Okko, est-ce que c’est une exigence que tu as pu poser à Delcourt dès le début?

C’est exactement ça. Je leur ai soumis les diptyques, la résonnance avec un élément. Mais je ne pensais pas appuyer autant sur eux. Je pensais donner un vrai titre. Le premier album ça aurait du être « les larmes de la carpe » puisqu’il y a une geisha nommée Petite Carpe qui est enlevée. Mais on m’a suggéré d’aller au plus simple.

Lorsque j’ai soumis Okko aux éditions Delcourt, le projet m’est venu comme une évidence en quelques semaines, très rapidement. J’ai pu soumettre la première planche, la suivante découpée, les personnages, la structure. Les éditions Delcourt ont été très intéressées, elles m’ont dit « ok on suit, on signe un contrat avec toi ». J’imagine que si la série n’avait pas du tout trouvé son public, peut-être qu’ils m’auraient fait diplomatiquement comprendre de la terminer en deux ou trois albums. Il se trouve que l’histoire est belle, et que j’ai pu mener à bon port cette série. Ca, ça me fait vraiment plaisir.

Okko était ton premier projet bd, qu’est-ce qui t’a permis de convaincre l’éditeur?

Ils m’avaient repéré parce que j’avais fait quelques dessins pour des amis rôlistes, sur le jeu Fading Sun qu’ils avaient pu voir. Ils m’ont demandé si j’étais intéressé pour faire de la bande dessinée, mais à ce moment-là je faisais autre chose. Après, quand je suis revenu vers eux, c’est mon style graphique qui les a séduit, je pense. Ils m’ont proposé de travailler avec plusieurs scénaristes. Or, j’avais des idées précises sur mon histoire. Je leur ai donc demandé quelques semaines pour leur présenter un projet, ce qu’ils ont accepté, et je suis arrivé avec le projet d’Okko.

Quand je me suis mis au dessin, petit, c’était pour pouvoir raconter mes propres histoires. Je n’arrive pas à scinder le dessin du scénario. Pour moi les deux s’entremêlent. J’ai autant d’épanouissement lorsque j’écris que lorsque je dessine. Imaginer des histoires, j’aurais du mal à m’en séparer. Après, l’avenir dira si je me tiens à ça…
Je voulais faire du cinéma quand j’étais petit, ce qui était impossible. Le plus simple pour raconter mes histoires, ça a été de les dessiner.

Reparlons du cycle du Vide. Où en es-tu, déjà, de la réalisation ce dernier tome?Okko tome 9 le cycle du vide 1

J’ai fini le story-board (ndlr: au 11 octobre 2014, donc), les dernières pages. L’histoire est glacée case par case à tout jamais, maintenant je m’attaque aux dessins définitifs, je reprends les 62 pages de cet ultime récit. C’est une longue traversée du désert, quelque part. L’histoire est là, il me faut la dessiner case par case. C’est le passage le plus long et le plus difficile parce que c’est un travail solitaire, tout en concentration. Mais j’aime bien. C’est souvent là que mon esprit part sur d’autres idées de scénarios. Même si ça me demande une grande rigueur et de l’attention, j’invente d’autres histoires pendant cette phase là.

Est-ce que l’on va voir un peu plus le Tikku adulte, dans cet album? Celui qu’on suit depuis le début en tant que narrateur?

On va pas mal le voir, mais on va surtout avoir toutes les réponses, à toutes les questions qu’il me semble légitime de se poser. J’essaye de répondre à tout, sur le trio. C’est un album qui s’annonce très dense. On commence déjà à avoir des pistes sur la jeunesse d’Okko dans le premier volet, et le prochain va fermer avec un maximum de réponses. C’est pas chose simple, parce qu’il faut les amener élégamment et naturellement, ces réponses. Ca m’a demandé une écriture beaucoup plus longue que d’habitude. Mais bon, c’est de la théorie pour l’instant, je sais pas si je vais réussir.

 

Comment tu as traité techniquement ces questions? Tu avais des trames scénaristiques? Est-ce que ce trio est le même que celui que tu avais imaginé il y a dix ans?

Non. Les principales lignes sont toujours là, mais ça a évolué entretemps. Ce que j’avais commencé à théoriser il y a dix, onze ans, lorsque je les ai dessiné la première fois en essayant d’imaginer leur caractère, leurs spécificités, tout ça s’est ancré dans des sortes de lois arithmétiques. Que je ne pouvais pas transgresser. Quand on fait une psychologie d’un personnage, et qu’on le fait réagir à une situation, on se rend compte qu’il n’a qu’une réaction possible. C’est incroyable mais plus les albums avancent et plus se sont des personnages qui ont leur propre autonomie. Bien sûr je leur fais dire ce que je veux, mais je n’avais pas pensé qu’ils puissent avoir des logiques aussi fortes.

Tu saurais nous donner un élément que tu avais envisagé à l’époque et qui finalement ne collait pas?

J’ai pas d’idée qui me vienne comme ça… J’avais pas imaginé avant que la psychologie était déterminée. Le côté stoïque d’Okko par exemple. Je l’ai fait une fois s’énerver, dans le premier album du cycle de la Terre, et déjà certains lecteurs avaient été choqués par cette réaction parce qu’elle sortait de ce qu’on avait vu jusque là.
Si, je me suis rendu compte récemment en relisant mes albums (ce que je fais peu et c’est un tort, mais je perçois immédiatement les défauts) , mais sur le premier album, Noburo est beaucoup plus bavard que maintenant. Voilà un exemple typique de comment le personnage a évolué sans que je m’en aperçoive. Maintenant il prend très rarement la parole, il est de plus en plus effacé. Volontairement. C’est le personnage le plus charismatique de la série, on me le demande très souvent en dédicace. Il a plus la carrure de héros qu’Okko, mais moi petit à petit je joue sur la frustration en le retirant un petit peu.

Affiche Hub Editions Bruno GraffOn a parlé ensemble, dans tes références, du jeu de rôle Légendes of the 5 Rings, mais comment t’es venu ta passion pour le Japon? 

L5R a énormément contribué, comme le jeu Bushido, un plus vieux jeu. Mais il y a plein d’autre références qui m’ont nourries. La littérature, le cinéma asiatique, toute cette culture qui fascine beaucoup de français. Mais la clé de voute de tout ça c’est le jeu de rôle, c’est là où je me suis rendu compte du potentiel d’histoires qu’on pouvait faire. Même sur Princesse Mononke, quand j’ai découvert cette poésie, ces esprits, ces kamis, c’était incroyable aussi. Mais oui, L5R est une référence majeure. C’est un jeu assez remarquable. Après, j’ai fait en sorte de ne pas coller à ça.

Pour créer ton monde à toi? Tu es dans un japon médiéval-fantastique, mais pas au Japon, ni à Rokugan (ndlr: nom du monde à L5R).

En effet. Par exemple, j’ai développé les Bunraku de combat, qui n’existent pas dans ce monde. J’ai essayé de faire un monde un peu moins complexe que L5R. Une bd, on a peu de pages, on doit privilégier l’aventure, le récit autour des héros, l’univers lui est une patine. On peut petit à petit amener des détails, mais on ne peut pas assommer le lecteur. Il faut amener les choses de manière didactique, avec intelligence. C’est ça la bande dessinée. Je devais expliquer les choses petit à petit, saupoudrer, mais pas amener des tonnes d’informations. Même ceux qui n’aimaient pas le Japon devaient pouvoir s’y retrouver.

Est-ce que tu as réalisé une carte de ton monde?

Oui, je l’ai faite dès le début. Elle était visible sur un site internet dédié à ma série, dans l’édition américaine du cycle de l’Eau, et dans quelques livres elle y est. On peut la trouver… Mais je l’ai perdue en haute définition, il faudrait que je la recommence…

Tu as eu donc droit à une publication aux Etats-Unis?

Oui, avec un éditeur… Archaia. Après, je ne suis pas sûr que ça soit un gros succès… Mais ça marche pas mal. Ca reste un type de bd qui n’est pas du super-héros. Mais c’est une belle édition, en format plus petit. L’album sort dans pas mal de pays, presque une dizaine. Et c’est déjà énorme… Mais je ne visite pas trop ces publics, en dehors des Pays-Bas qui sont proches. J’ai peur de l’avion. Et puis je cours derrière le temps… Mais lorsque j’aurai fini Okko, j’irai au Japon et dans d’autres pays asiatiques, pour pouvoir vérifier les contradictions et les points de convergence entre ma série et le Japon médiéval. Je ferai cet effort là.

Terminons avec une question qui n’a rien à voir, mais à laquelle je tiens: c’est quoi ton clan à L5R?

Oulala… Le crabe je dirai. Mais j’aime bien le dragon aussi. Ce sont plus des familles que j’aime. Chez le Dragon, ce sont les enquêteurs Kitsuki que j’aime bien. Les Ise-Zumi, aussi. Et effectivement, les chasseurs de sorciers Kuni. Et aussi le Scorpion… Mais tous les clans sont intéressants, ils apportent tous quelque chose à l’univers. Même le Lion et sa rigueur.
Allez, Crabe, Scorpion et Dragon. Ce sera mon choix.

mon_crab

Photo Hub: Copyright Olivier Roller
Illustration Okko: Hub, chez Bruno Graff Editeur
Mon du clan du Crabe: Propriété d’AEG

 

8 réflexions sur “Hub: A deux pas du Vide (Interview)

  1. Merci pour cette interview, j’aime beaucoup Okko qui est une de mes séries préférées. L’une des rares à être toujours au top niveau après autant de tomes !

  2. Someone beg it on the okko facebook page. You’re the second one. I’ll try to make it by myself. I don’t promise, but I’ll try.

  3. I translate seven questions today. So, i’m working on it ^^
    But it will takes time, Googletrad is not a friend, I don’t use it.

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