Mon ami Dahmer (La BD du Mercredi)

Mon ami Dahmer

Titre : Mon ami Dahmer

Auteur : Derf Backderf

Editeur VO : Abrams Comicarts

Editeur VF : Ca et là

Date de publication VF : Février 2013

 

Ce titre a fait un bref passage sur la blogosphère, sans vraiment s’étendre. Mais, immédiatement, le concept de l’album m’a vraiment intéressé. Raconter sa vie aux côtés d’un homme qui deviendra un serial-killer cannibale, c’était suffisamment décalé pour venir me titiller. Attention, il s’agit bien d’une histoire vraie, même si dépendant entièrement du point de vue de l’auteur, ce qu’il assume pleinement. Et donc, au vu de la discussion déclenchée par son passage la semaine dernière sur la bd du Mercredi, je vous propose cette chronique sans tarder.

 

Les années 70, dans un coin perdu de l’Ohio. Derf Backderf est un collégien, puis un lycéen assez banal, sans histoire. Déjà très branché par le dessin, il veut faire une fac d’arts. Mais il y a un type bizarre, dans son établissement, un gars dont il ne sait pas grand-chose, un anonyme, qui parvient à se faire remarquer un peu en singeant des crises d’épilepsie. Mais personne ne sait ce que deviendra Dahmer dans le futur. Backderf raconte ce que lui a connu du tueur en série à cette époque.

 

Faut avoir l’estomac bien accroché, pour lire cet album, mais il est indéniablement intéressant, notamment pour les interrogations que porte l’auteur, la principale étant : « comment les adultes n’ont-ils jamais repéré cet ado asocial, ce lycéen alcoolique ? ». Il évoque la permissivité de l’époque, qui voyait pas mal de lycéens picoler dans leur voiture avant d’aller en cours,  ou le fait que les profs ne voyaient plus ce jeune qui s’il allait très mal, ne faisait aucun remous. Ceux qui se noient en silence, c’est bien connu, on ne leur vient pas en aide. Moi j’aurai tendance à mettre en avant un modèle de société très individualiste, qui ne se préoccupe pas des plus faibles, qui d’une certaine façon l’ont toujours bien mérité. Dahmer était un looser, et c’est une place qu’il ne fait pas bon occuper aux Etats-Unis. Personne ne vous en sortira. Alors évidemment, tous les loosers d’Amérique ne deviennent pas des bouchers sanguinaires, et c’est là qu’est la limite de ce témoignage : se basant sur les souvenirs d’époque de l’auteur, il ne peut vraiment s’engager sur la voie de l’explication psychologique. Certes, Backderf a bien étudié le dossier de cet « ami », après coup, afin de restituer le mieux possible la vie de Dahmer, mais il ne peut que survoler ses penchants morbides. Et finalement, c’est là que sans doute la clé de l’explication. Pourquoi cette homosexualité refoulée chez Jeff Dahmer, s’accompagnait de fantasmes morbides qui l’ont conduit au passage à l’acte ? Backderf ne peut y répondre, même s’il pose d’une certaine façon la question.

Personne n’avait idée de ce qui allait advenir. Personne n’a été capable d’associer les différents signes, personne n’a voulu voir. Backderf rappelle que lui et ses potes étaient des ados, qu’ils n’avaient pas eux les moyens de comprendre. S’il se dédouane, je ne crois pas que cela soit hors de propos. Il y a tellement d’autres responsables potentiels… Le plus horrible étant la phrase que l’auteur a réellement prononcé dix ans plus tard « c’est sûrement un tueur en série à l’heure qu’il est ». Terriblement prophétique, je n’aurai pas aimé vivre avec ça.

Et pour appuyer ce propos bien sombre, il y a un dessin si caractéristique du monde de la bd indépendante américaine. Un dessin un peu rigide, qui déforme les visages et les corps, mais qui appuie les propos les plus sombres. Et là, pour mettre en scène la raideur physique de Dahmer, sa banale anormalité, il n’y avait pas mieux.

 

Œuvre passionnante, forte, qui fait froid dans le dos. L’auteur ne se trompe jamais sur le point de vue à partir duquel il trait son histoire, et il propose un récit adossé à un joli petit dossier de notes, d’explications et de travail d’identification des sources. Pour un récit qui fût au départ auto-édité, on a là quelque chose de vraiment professionnel.

 

La Blogosphère en parle: Jérôme, Comicsblog, OliBD, Serial Lecteur, La bibliothèque du Dolmen, Choco,

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17 réflexions sur “Mon ami Dahmer (La BD du Mercredi)

  1. Je reste très dubitative sur le concept… mais fort intriguée tout de même… Il faudra peut-être que je me fasse mon idée sur la question !

  2. Merci. Je reconnais que le thème en fait un ouvrage pas forcément facile à aborder. Mais l’auteur ne montre que peu de choses, au final, des horreurs commises par Dahmer.

  3. comme je disais à Cristie, ce n’est pas une bd gore. juste, malsaine par la situation qu’elle décrie. Il n’y a pas plus de trois scènes difficiles. Le reste, c’est juste un quotidien pathétique.

  4. Ton analyse est très pertinente et très juste. Je n’ai pas eu le même ressenti mais à force de lire des avis aussi argumentés je comprends mieux le but de l’auteur. C’est aussi pour ça que j’aime autant le partage sur les blogs !

  5. Ahh c’est à ton tour de jouer de la tentation.
    Vous m’intriguez pas mal tous ces derniers temps mais j’hésite encore. je vais attendre d’en avoir plus envie.

  6.  » Un bref passage sur la blogo « … y’en a eu des articles quand même sur cet album-là.
    Le tien et le mien compris, j’en ai vus 9 autour de ma bulle ^^

  7. On peut dire que cette BD fait parler et écrire. Elle ne laisse vraiment pas indifférent! Chacun est une île a dit je ne sais plus qui et en effet, comment prévoir ce que deviendra un jeune qui ne se livre pas . Il y en a plein partout mais heureusement tous ne deviennent pas des monstres de ce type! Débat intéressant en tout cas!

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