Dans la jungle, terrible jungle, le migrant est mort ce soir
Ah, la jungle de Calais, vous en avez entendu parler hein? Vous les avez vues, ces images de guérillas urbaines, ces assauts de migrants nocturnes sur camions? Mais l’intérieur des camps, vous les avez vu eux? Vous avez entendu parler les migrants eux-même? Sans doute pas. Alors le reportage de la bédéaste Lisa Mandel et de la sociologue Yasmine Bouagga, publié sur les blogs du Monde.fr, sera pour vous une lecture incontournable.
Les nouvelles de la jungle: Immersion au pays des sans-papiers
L’histoire de la Jungle n’est en rien une nouveauté. Les premiers migrants désireux de rejoindre le Royaume-Uni se parquent dans la région depuis le début des années 90. En 2015, Lisa Mandel et Yasmine Bouagga ont souhaité mener un reportage de longue haleine sur ce lieu objet de toutes les crispations, de toutes les manipulation médiatiques et de tous les rêves de vie meilleure. Pendant une année elles ont régulièrement arpenté les chemins boueux de la jungle, rencontré ses occupants, mais aussi les habitants du coin ou les CRS de faction.
Des notes de blog, régulières, sont venues et son désormais rassemblées dans ce livre qui dénonce l’absurdité globale d’une situation qui demanderait à ce qu’on sorte des réflexes primaires et xénophobes pour être résolue.
Un album très instructif
Il faut commencer par là: ce livre est une mine d’informations pour qui veut sortir des reportages de base sur la jungle de Calais. C’est l’avantage d’avoir pu visiter l’endroit sur une année, Lisa Mandel dispose du temps nécessaire pour traiter la question sur le fond. Elle commence d’ailleurs par une introduction éclairante sur les débuts de l’installation des migrants. Quand on réalise que la question se pose depuis le début des années 90, avant même la mise en service du tunnel sous la Manche, on voit bien que le problème est profondément enraciné et qu’il demande un traitement bien plus global que la question des camps.
Mais ce reportage, c’est aussi l’assurance de capter les bonnes personnes. De bien identifier qui sont vraiment ces êtres humains quel ‘on parque dans des conditions sanitaires déplorables.
Ce reportage, c’est aussi un grand questionnement sur le rôle du pouvoir politique, en France comme en Grande-Bretagne. Quand il faut que ce soit Médecins du Monde, qui vienne mettre en place un camp humanitaire, du même genre que ceux qui recouvrent l’Afrique, parce que le gouvernement Valls refuse d’y mettre un centime, on ne peut que comprendre à quel point cette réponse est honteuse.
Les nouvelles de la jungle: et l’humain, là dedans?
Lisa Mandel démontre bien que l’humain n’a guère de place dans toute la gestion de cette crise. D’ailleurs, ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des migrants. Concept neutre, aseptisé, qui vise à nous éviter de penser à ce qu’est la réalité: ce sont des femmes, des hommes, des enfants qui sont concernés. Pour la plupart, ils vivent dans des pays en proie à la violence, dans lequel ils ne peuvent changer quoi que ce soit. Leur seul échappatoire? La fuite. En dépensant des sommes immenses que la plupart d’entre vous, lecteurs, seraient incapable de mettre de côté alors même que vous vivez dans un pays riche. Aucun d’entre eux n’a réellement envie de venir là. De traverser la moitié de l’Afrique, puis l’Europe, pour se retrouvé parqués dans la boue et la pluie du Nord de la France.
Ils ne veulent qu’une seule chose: à défaut d’avoir un pays de naissance décent à vivre, ils veulent rejoindre le Royaume-Uni où ils pensent pouvoir vivre une vie en paix, sans crainte pour leur vie. Une vie de labeur (ils savent bien qu’ils devront travailler comme des chiens pour rembourser les passeurs). C’est tout ce qu’ils demandent.
Notre réponse est inhumaine. Mais elle est à l’image de notre société, qui se refuse à prendre les problèmes dans leur réalité. Parce que ça demanderait de sortir de la « bonne gestion de père de famille » dont se targuent les partis dits de gouvernement. Parce que ça impliquerait de se poser la question de notre responsabilité dans le départ de ces personnes.
C’est tellement plus facile de planter un coup de pelleteuse dans des campements de bois de palette…
Le blog, ça a du bon
Voilà donc un recueil de notes de blog qui en vaut vraiment la peine, parce que doté d’un fond extrêmement intéressant.
Lisa Mandel a eu le temps et la place de diffuser ces reportages, grâce au blog. Ce n’est évidemment pas du dessin très poussé, c’est le dessin qu’on s’attend de trouver sur un blog. Mais c’est un travail expressif, permettant l’accès au plus grand nombre à des idées que trop peu de médias veulent bien rappeler.
L’humain, d’abord. Avant tout.
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
17/20
Titre: Les nouvelles de la jungle (de Calais)
Autrice: Lisa Mandel
Co-scénariste: Yasmine Bouagga
Editeur: Casterman
Collection: Sociorama
Date de publication: Janvier 2017