Face au mur, Jean-Claude Pautot, Laurent Astier, Casterman

Face au mur, comme un coup de poing dans ta gueule!

Autant le dire tout de suite, je n’éprouve ni sympathie, si fascination pour la figure du truand à l’ancienne et son supposé code d’honneur. Cette mythologie entre en conflit violemment avec mes propres valeurs. Mais voilà, Face au mur m’a été « vendu  » par son auteur voilà quelques mois et la démarche qui a amené à la réalisation de ce livre est elle beaucoup plus intéressante.
Mais bon, ne cherchez pas d’excuse, Face au mur est juste une de mes grosse claque de lecture de ce début d’année 2017.

Tiré d’une histoire vraie

Jean-Claude Pautot a pris perpet. Auteur de plusieurs casses dans les années 80, il a été condamné, s’est évadé, a mené une cavale de 20 ans, pour finir par revenir entre les quatre murs d’une cellule.
Ce mur, face auquel il fini toujours par revenir. Comme un symbole.
Voici son histoire, le gamin qu’il a été, le truand, le prisonnier ou le bon père de famille bien sous tout rapport.
Face au mur, c’est son histoire.

L’art de la composition scénaristique

Quand il est face au matériau brut d’une histoire vraie, l’auteur doit faire des choix. Il doit adopter un angle, sélectionner les éléments narratifs les plus pertinents pour servir son propos, tout en se séparant des aspects qui servent le moins le récit.
C’est pour cela que Face au mur est présenté comme inspiré de faits réels. Jean-Claude Pautot a suivi de près tout le processus créatif, c’est bien son histoire qui est là.

Mais on ne peut que constater la puissance du travail scénaristique réalisé par Laurent Astier. Chacun de ses chapitres est une petite bombe. Le plus fort est sans conteste celui qui sert d’introduction. En quatre pages il vous pose un personnage, une ambiance, une histoire. Si vous n’accrochez pas à ces quatre pages-là passez votre chemin, vous n’aimerez pas ce livre. Mais je pense plutôt que vous serez, comme moi, ébranlés et accrochés en même temps par cette courte entrée en matière.

Comme chaque chapitre, quelle que soit sa taille, est travaillé avec la même intensité, cela donne un récit qui ne souffre d’aucun temps mort. On a le sentiment de recevoir la substantifique moelle du récit. Du polar dans sa version chimique la plus pur. De la critique sociale, de la psychologie, de l’action, de la moralité douteuse. En version concentré. Aucune overdose en vu, les amateurs risquent plutôt le good trip.

Face au mur, l’histoire d’un homme qui a été un truand

Mais Laurent Astier a profondément réfléchi à la façon de nous présenter cette histoire. Il a réfléchi à une trame qui, tout en piochant dans différents moments de la vie du truand, allait nous donner à comprendre l’humain qu’il est. L’enfant, l’adolescent, l’adulte. Ce n’est pas une histoire de truand que nous raconte Laurent Astier, c’est une histoire d’homme. C’est une trajectoire de vie, pas forcément rectiligne.

Parce qu’il l’a rencontré, l’homme. Au cours d’un atelier bd en prison, Laurent Astier s’est retrouve enfermé avec Jean-Claude Pautot pendant de longues heures, en tête à tête. Il était le seul détenu présent pour l’atelier. Je parle bien d’une rencontre, parce que ce n’est pas autre chose. Le truand a raconté son histoire, l’auteur s’est intéressé, un projet est né. Astier un est grand amateur de polar, il a bien vite repéré que derrière le personnage, il y avait une personnalité à décrypter.

Et pour ma part, c’est ce point, qui m’a complètement convaincu face à cet album.
Bien entendu, on a tout le vécu du truand, la façon dont il a pu s’évader, la façon de mener une cavale, ce qui est intéressant en soit. Mais c’est complètement sublimé par le fait que l’on parvient à comprendre le personnage petit à petit, au fil des chapitres.
Chaque époque éclaire les autres. Laurent Astier pioche de manière désordonnée dans les périodes de vie de son personnage. Ce qui lui importe, c’est que le tout entre en résonance pour nous offrir le meilleur point de vue sur la psyché de cet anti-héros. Jean-Claude est paranoïaque, et pour de bonnes raisons, mais il est aussi incroyablement humain, notamment quand le jeune urbain qu’il est se retrouve en plein flip au milieu du maquis corse, parce que ce n’est pas son environnement.  Il y a aussi l’opposition avec le flic qui le traque, qui est l’objet d’une scène de manipulation réciproque terrible. Le flic vient de retrouver Jean-Claude après ses années de cavale, il va le coller au trou, il tente une dernière pression psychologique et c’est le truand qui tire le dernier et blesse mortellement son adversaire, qui va visiblement avoir du mal à assumer toutes les conséquences de ses actes à lui, le policier.

Un dessin qui vous prend aux tripes

Là encore, on ne peut qu’apprécier la proposition graphique pensée et construite avec attention par Laurent Astier.

Dans le trait d’abord. On retrouve la qualité de dessin dont il avait fait preuve sur Comment faire fortune en Juin 40, mais avec un degré de maturité supplémentaire, me semble-t-il. Il apporte un soin encore plus poussé à ses décors et à son encrage, à son utilisation des masses de noir. Il bâtit un album à mi-chemin entre le polar et le roman graphique et son dessin s’adapte. Pour son livre avec Nury et Dorison, il avait choisi quelque chose de plus léger. Avec Face au mur, on plonge dans la noirceur humaine et cela se voit.

L’autre grande force graphique de cet album, c’est le choix d’attribuer une couleur différente à chaque chapitre. Comme l’auteur joue avec les périodes, il est ainsi impossible de se perdre. La fin de la cavale, c’est en vert. Le casse des fourgons, en jaune. Quand une histoire s’étale sur plusieurs chapitres, on reprend la même couleur. Le lecteur est accompagné, mis en sécurité. Les aplats de noir viennent apporter la nuance et les ambiances.

Face au mur, la bd qui va vous faire aimer le polar

Si Tony Montana ou Jacques Mesrines ne vous vendent que peu de rêve, mais qu’en même temps vous demeurez quelqu’un de curieux, faites comme moi, lisez Face au mur, de Jean-Claude Pautot et Laurent Astier chez Casterman. Je peux vous assurer que vous ressortirez avec une ÉNORME envie de lire le tome 2. Quand un auteur, un personnage et un sujet se trouvent, il y a une forme d’évidence. Face au mur, ce n’est pas autre chose, c’est juste évident.

ET SI ON DONNE UNE NOTE?

18.75/20

Titre: Face au mur
Co-scénariste; Jean-Claude Pautot
Auteur: Laurent Astier
Editeur: Casterman
Date de publication: Mars 2017

 

 

5 réflexions sur “Face au mur, Jean-Claude Pautot, Laurent Astier, Casterman

  1. Ton article m’a conquis ! Je commande au plus vite cet album pour découvrir ce personnage qui, à te lire, ne me laissera pas indifférent… Au plaisir de te relire…

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