La Panthère noire: souveraineté et politique au sein de l’univers Marvel
Quand Marvel Comics a décidé de confier une nouvelle série à un romancier, laissez-moi vous dire que ça a fait causer, aux Etats-Unis. Surtout quand le romancier en question a écrit un véritable brûlot sur les relations « raciales » aux USA.
La nouvelle série Panthère Noire était donc très attendue. Pas si facile de passer d’un média à l’autre. Force est de constater que Tah-Nehisi Coates a parfaitement réussi cette évolution de carrière.
Le Wakanda: un royaume au bord de la rupture
Il était le plus grand des royaumes africains. Sans doute l’est-il encore. Mais après les invasions causées par Fatalis, Namor ou Thanos, le Wakanda doute de lui-même. Car son roi, T’Challa, doute, lui aussi. Alors que sa soeur, la reine Shuri a du faire le sacrifice de sa personne pour sauver le pays, que même ses loyales Dora Milaje entrent en rébellion, une femme parcourt le pays pour développer la haine dans son sillage grâce à des pouvoirs inexpliqués.
Serait-ce la fin d’un royaume et de son roi?
Tah-Nehisi Coates: une nouvelle direction, dans le respect du passé
Avez-vous noté la richesse des sujets abordés dans ce résumé? Je ne fais que poser les bases, tant les développements proposés par Tah-Nehisi Coates sont intéressants. Si vous avez envie d’une série de super-héros mâture, qui ne sacrifie pas à l’action qui est le fondement du genre, alors La Panthère Noire est faite pour vous.
Mais avant de décrypter le fond, deux doigts de forme.
On le rappelle, le scénariste n’est pas un scénariste de bande dessinée, c’est un romancier. Déjà, passer d’un support à l’autre n’a rien d’évident, mais on imagine que Brian Steelfreeze, le dessinateur, a pu le seconder pour ce qui est du découpage et de la narration.
Ceci dit, il a du aussi être largement alimenté sur le fond, parce que ces premiers épisodes se basent complètement sur l’histoire récente du personnage. Son intégration aux Illuminati (une confrérie de héros oeuvrant dans l’ombre), les invasions, les décès, les grandes figures du Wakanda… L’éditeur en charge de la série a du faire un ENORME travail d’information, mais Tah-Nehisi Coates a lui fait un ENORME travail d’intégration, parce que tout sonne juste.
Il a manifestement tout compris au personnage, ce qui lui permet d’apporter sa touche personnelle avec d’autant plus de pertinence qu’il manifeste le plus grand respect pour le personnage.
Sciences politiques et journal d’actualité
On vous met un « intello » sur un titre de super-héros? Vous allez en avoir pour votre argent.
Voilà ce que semble s’être dit Marvel Comics en faisant appel à Tah-Nehisi Coates.
Ce premier tome repose quasi intégralement sur des réflexions du type des Miroirs des princes. Quelles sont les conditions légitimes à l’exercice du pouvoir, et surtout, du pouvoir ROYAL. Le Wakanda n’est pas un Etat démocratique. Depuis le début, T’Challa est présenté comme un souverain éclairé qui fait le bonheur du peuple (pour les péripéties, de temps en temps, on a droit à une petite rébellion, ce peuple ne mérite pas un tel souverain…). Mais il n’en reste pas moins qu’il dirige par héritage et non parce que le peuple lui transfère son droit souverain.
Les deux ennemis de ce premier cycle sont basés sur ces questionnements. C’est une révolution qui se prépare. Une double révolution, même, avec convergence des luttes, si l’on prend en compte les anciennes alliées en révolte. Mais pour celle de Tétu, l’étrange shaman, il y a un petit quelque chose de Daesh qui me semble ressortir. La couleur verte de l’islamisme terroriste, d’abord, puis l’utilisation de la violence, de la propagande (symbolisée par le pouvoir de la jeune femme)…
La Démocratie ne peut-elle être utilisée comme prétexte pour faire pire que la Monarchie, voilà la question que semble nous poser Tah-Nehisi Coates. Sans nous donner la réponse, mais il sera vraiment intéressant de voir comment il y répond justement. Comment il conciliera son âme d’américain et le personnage qu’il écrit.
Brian Steelfreeze, un artiste aux effets de style
Pour accompagner un scénario profond et exigeant, il fallait un dessinateur qui puisse tenir la comparaison.
Brian Steelfreeze est un artiste qui teste, qui tente. Chaque épisode de La Panthère Noire comprend des effets de style différents, novateurs, qui cherchent à établir une ambiance unique.
Puisque le Wakanda est un pays technologiquement très avancé, on sent que l’artiste cherche à créer des représentations visuelles de cette avance. Des concepts d’écran, de masque même, puisque celui de T’Challa cesse d’être une simple cagoule.
Il y a ces jeux de reflets aussi, de textures. Comme quand on perçoit le héros dans le reflet d’une vitre, en transparence. Une transparence symbolique autant que scénaristique.
On notera que c’est aussi par le travail de masses de noir dans les cases, que passent ces expérimentations. Les planches noir et blanc doivent être passionnantes à analyser.
La panthère Noire de Coates et Steelfreeze: Intelligent et audacieux
Très attendue, cette série remplie donc tout ce qu’on peut attendre d’elle. Elle relance intelligemment un personnage qui demeurait plus au second plan jusque là. Il lui redonne à la fois toute sa grandeur et son humanité, alors qu’elle cherche à le faire tomber.
Une série mémorable du comic-book de super-héros, tout le potentiel est là.
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
18/20
Série: La Panthère noire
Tome: 1
Scénariste: Tah-Nehisi Coates
Dessinateur: Brian Steelfreeze
Editeur VO: Marvel Comics
Editeur VF: Panini Comics
Date de publication VF: Février 2017
De bonnes lectures bande dessinées de 2017