El Mesias, par Mark Bellido et Wauter Mannaert: une bouffée d’air frais et d’utopie
Vide-Cocagne, « jeune » petit éditeur nantais, ne fait pas que proposer de la création franco-française. Ils osent aussi publier des titres étrangers leur semblant correspondre à leur catalogue. Avec les espano-néerlandais Bellido et Mannaert, auteurs d’El Mesias, ils nous offrent un pur moment d’utopie jouissive, positive et acide. Une lecture qui ne laissera personne indifférent.
Mais qui est le Judas du Jesus andalou?
Jesus Pocero est un entrepreneur espagnol qui a tout gagné. A tel point qu’il a lancé la construction d’une ville à son nom, summum de la réussite. Mais l’éclatement de la bulle immobilière espagnole l’a ruiné. Il n’est plus rien. Même sa tentative de suicide, il la rate.
Sans argent, sans plus personne autour de lui, Jesus ne sait pas quoi faire. Apprenant par hasard et de manière incrédule l’existence en Andalousie d’un village sans loi, sans propriété privé, géré par ses habitants, il décide d’entreprendre le voyage pour découvrir cet endroit si éloigné de ses propres valeurs.
Il va y faire la découverte d’un autre Jesus, le charismatique maire du village.
El Mesias: et si nous parlions d’utopie réelle?
Qu’est-ce qu’il peut faire du bien, ce livre! Il développe une pensée bien peu souvent assumée, avec ses forces comme avec ses travers.
Il s’appuie sur une situation réelle, que les auteurs ont bien comprise. L’Espagne souffre depuis 2008 et la crise immobilière qui l’a frappée de plein fouet. Les espagnols souffrent. Ce faisant, ils ont commencé à développer des initiatives dont nous autres français mine de rien plutôt épargnés par le matelas de la social-démocratie à la française, ne faisons que rêver.
ERRATA- Marinaleda existe. Et les deux Jesus, renommés pour l’occasion, sont inspirés de faits réels. C’est juste incroyable, mais c’est donc en bonne partie vrai. Il y a bel et bien d’organisé, en Espagne, la volonté d’une démocratie directe, de valeurs différentes de celles de la société de consommation.
Les deux personnages incarnent tous deux cela. Pocero est le capitalisme rutilant, Sanchez est ce nouveau « communisme » à la sauce espagnole.
Une pensée assez intéressante, puisqu’à la croisée du communisme et du christianisme, dans une version sans Dieu à vénérer mais avec un messie humain, Jesus Sanchez.
Peut-on d’ailleurs se passer du culte de la personnalité développé par le personnage, en écho à ce que firent réellement en Amérique latine des gens que Hugo Chavez ou Evo Morales? Jesus Sanchez affiche son portrait partout, il est incontournable dans toutes les décisions, alors que ce sont officiellement les citoyens qui sont les décideurs. L’humain peut-il se passer de leader? L’Internationale professe que oui, pourtant, chaque situation qui converge vers les idéaux exprimés dans cette chanson voit au contraire le « sauveur suprême » prendre place.
Marinaleda ne fait pas exception.
Mark Bellido joue à merveille avec ces incohérences, avec la façon dont il s’inspire de la réalité. Il ne cesse de mettre en avant les vertus de ce système, la solidarité, l’engagement, le rejet d’une certaine forme de façon de faire la politique. Mais il ne cache pas que ce genre de système bride des individus qui n’y trouvent pas leur place, qu’il repose sur un élément moteur particulier et surtout qu’il est extrêmement difficile voir impossible à instaurer de manière locale dans le monde qui est le notre. Si tant est que cela soit possible même dans un pays et qu’il ne faille pas que toute la planète s’y mette.
Et puis il y a la trahison, celle qui vient tout mettre à bas… Mais je n’en dirai pas plus vous verrez qui et comment en lisant le livre. Mais bien entendu, le « messie » devra finir mal, c’est évident.
La découverte Wauter Mannaert
Je ne connais quasi pas la bande dessinée néerlandaise. Souvent très inspirée par le classique franco-belge, ces artistes arrivent rarement jusqu’à moi.
Mais pourtant, avec Wauter Mannaert, on est dans un dessin bien différent, beaucoup plus en phase avec son époque, avec ce trait qui s’est développé dans les pas de l’Association. Une façon de dessiner le réel en gardant une certaine distance, sans renier les origines « gros nez ». Mais en revenant à quelque chose de plus réaliste, de moins cartoony. Je pense par exemple aux début de François Ravard sur La faute aux chinois. Je pense à Etienne Davodeau et à tant d’autres encore.
Pour présenter cette histoire au croisement de l’Espagne réelle et de l’Utopie, il fallait un dessin de cet acabit. Wauter Mannaert a tout le potentiel pour se faire une place solide dans la bande dessinée franco-belge. Bravo à Vide-Cocagne pour avoir mis en lumière cet artiste.
Une bande dessinée qui nous parle différemment
El Mesias est donc une bande dessinée qui nous parle de notre temps, qui nous parle de nous. Parce que l’Espagne reste très proche de la France ou de tous les autres pays d’Europe de l’Ouest.
Mais ce n’est pas la chanson que vous entendez de manière continue dans les médias, qui vous est proposée ici.
Alors si vous vous agacez de ce monde triste et que le mot « rêveur » n’a rien pour vous d’une insulte, El Mesias est fait pour vous.
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
17/20
Titre: El Mesias
Scénariste: Mark Bellido
Dessinateur: Wauter Mannaert
Editeur VF: Vide-Cocagne
Date de parution VF: Janvier 2017