L’éternaute tome 1: une antiquité intemporelle
Très souvent, le temps qui passe se montre fort cruel à l’égard des vieilles productions, qui vivent mal la comparaison avec une production ayant bénéficié de décennies de réflexion artistique. Mais parfois, on découvre une pépite. Enfin, « découvre »… L’éternaute est considéré comme une des grandes bd de l’histoire mondiale. Oui, parce que parue dans les années 50, cette série est surtout parue en Argentine, parallèlement aux premiers pas d’un certain… Hugo Pratt. Bref, L’éternaute est une série sur laquelle il y a BEAUCOUP à dire. Parce qu’en plus, elle est vraiment plaisante à lire.
Si Walking Dead avait été écrit dans les années 50
Un scénariste de bande dessinée, travaillant tard et seul, reçoit une visite inattendue. Un homme, vieux, fatigué, apparaît devant son bureau avec une histoire à raconter. On l’appelle l’Eternaute. Il voyage dans le temps.
Son destin de voyageur solitaire s’est joué un soir, en Argentine, alors que Juan Salvo jouait aux cartes avec ses amis, son épouse et sa fille profitant calmement de la soirée. Une neige phosphorescente tomba. Une neige au contact mortel. Le groupe d’ami se retrouvait isolé, sans comprendre la nature réelle des évènements. Mais il allait leur falloir réussir à survivre dans un monde désormais hostile et mortel.
L’éternaute: replacer le contexte
Quand on a affaire à une BD ancienne et peu connue du grand public, il n’est pas inutile de rappeler le contexte dans lequel elle évolue.
Ainsi que je le disais en introduction, nous avons là une bande dessinée argentine. Car oui, il y avait une belle tradition de bédéastes dans l’Argentine d’avant Pinochet, même si l’on a tendance à globaliser la production en trois zones, Nord-Amérique, Japon et Europe francophone. Oesterheld et Lopez sont tous deux argentins. Oesterheld a monté sa propre maison d’édition, qui publia les premiers travaux de Hugo Pratt avant qu’il ne crée Corto Maltese. Ce scénariste engagé a été victime de la dictature, il fait partie des « disparus », ces personnes tuées par les hommes de Pinochet mais dont les corps ne furent jamais identifiés.
Francisco Solano Lopez développe alors un style assez impressionnant, sans doute inspiré par les auteurs américains de l’époque, tel Milton Caniff. Un dessin réaliste, extrêmement précis, peut-être même un peu rigide, ce qui en fait tout le charme. Un travail impressionnant, surtout, sur les masses de noir et de blanc qui procurent une ambiance irréelle parfaitement adaptée au scénario. Surtout sur le format ramassé qu’est le format à l’italienne. Il est à noter que l’édition de Vertige Graphic se base parfois sur des scans de publications journaux, toutes les planches n’ayant pu êtres retrouvées. Cela explique le dessin parfois un peu baveux, qui n’est pas du à un défaut de Lopez, brillant, mais bien au processus de restauration de l’oeuvre.
Plusieurs suites ont été publiées, notamment à la disparition du scénariste, la dernière datant du début des années 2000, alors que Lopez est devenu une légende des « historietas » dans son pays.
Format à l’italienne, sujets complexes faisant la part belle aux réactions humaines (adultes) face à l’inattendu, dessin en noir et blanc, L’Eternaute est souvent considéré comme un des premiers romans graphiques de la bande dessinée contemporaine. Une place à part, indéniablement, dans l’Histoire du média.
Robinsons en pleine civilisation
Je faisais référence à Walking Dead, dans un des titres précédents, parce qu’il me semble que le feuilleton américain repose sur les mêmes ressorts scénaristiques que l’Eternaute.
Oesterheld dépeuple la civilisation par un processus mystérieux et brutal (mais que lui semble vouloir expliquer, contrairement à Robert Kirkman), pour mieux s’intéresser aux réactions de ses personnages dans cette situation de crise. Juan Salvo, le personnage principal, tient du monsieur tout le monde. Il va être le héros tragique de cette histoire, mais il n’est pas le plus savant (ça, c’est le personnage de Favalli), pas le meilleur combattant non plus. C’est un père de famille, un mari, qui doit essayer de sauver les siens. Il est perdu face au destin, comme l’introduction du récit le démontre. Un voyageur temporel balloté et perdu, visiblement. Le scénariste ne s’attarde pas trop sur cette question, pour donner la part belle aux évènements qui expliqueront la situation.
La première partie de cet album est consacrée à l’expérience de la survie en milieu hostile mais connu. D’une certaine façon, je trouve qu’il y a quelque chose de Jules Vernes et de son Île mystérieuse. Une forme de foi en la science, mais dans son côté pratique. Ou pour prendre une référence plus moderne, Favalli et Salvo tiennent plus du McGyver tant rien ne leur semble impossible à construire. La survie sera d’abord due à l’intelligence. Mais ensuite, Oesterheld ramène l’autre, les autres survivants et donc la lutte de territoire. L’homme, en animal qui défend son territoire. Tué, ou être tué.
La visite de ce monde couvert de « neige » phosphorescente est l’occasion de nous offrir une plongée dans cette normalité mortelle, quand le lieu connu et rassurant devient une jungle à explorer. Un moment intense, très bien mené.
Et puis vient la seconde partie, le moment de la révélation des dessous du phénomène. L’occasion pour le scénariste de repartir dans une dynamique plus positive. Enfin, plus positive… Pour l’espèce humaine, parce que pour les personnages, ça reste quand même sacrément tendu. Le scénariste cultive la tension et une posture extrêmement anti-militariste, sous couvert de « ils ont raison de faire ça comme ça ». C’est vraiment ce qui rend intéressant le personnage de Salvo, ce non-héros qui a conscience de son statut. Bien entendu, vous noterez que je n’explique pas de quoi il retourne précisément. Oesterheld a voulu cultiver le suspens, je m’en voudrai de saccager son travail.
Terrien du XXIe siècle, lit l’Eternaute!
Ami lecteur, si tu aimes la science-fiction, que tu n’es pas rebuté par les bande dessinées riche en texte, viens découvrir l’Eternaute.
Cette série n’a presque pas pris une ride, le temps passant. Les personnages sont attachants, caractérisés avec efficacité et on a envie de lire le tome 2 dès la fermeture du tome 2.
Parce que non, une BD guindé et bavarde, ça n’est pas forcément une bd « chiante ». Oesterheld et Lopez en font la brillante démonstration.
Série: L’éternaute
Tome: 1
Scénariste: Hector G. Oesterheld
Dessinateur: Francisco Solano Lopez
Editeur VF: Vertige Graphic
Date de parution VF: Juin 2009
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
17.5/20
La science-fiction, une passion de bédéastes
Bandes dessinées datant d’avant les années 60
Je ne connais pas du tout… je vais me coucher moins niaiseuse à soir! En effet, BD sud américaine, je ne connaissais pas du tout.
Oui hein? On imagine pas du tout, et pourtant, comme en toute terre de ce monde, la bande dessinée est là…
Encore un vaste monde à découvrir ^^