Je, François Villon tome 3: les excès de l’artiste et leurs conséquences
Voici donc le dernier tome du triptyque Je, François Villon (non, pas Fillon, l’actualité m’occupe un peu l’esprit on dirait), écrit et dessiné par l’italien Luigi Critone, d’après le roman de Jean Teulé. Absolument convaincant sur les deux premiers volets, il restait à l’auteur à conclure la vie de Villon. Etp our ce faire, à l’accompagner tandis qu’il boit le calice jusqu’à la lie. La bd est un art visuel? Croyez bien que Luigi Critones va s’en servir pour vous remuer!
Pourquoi je l’inviterai (Dieu) à mon décès?
Toujours sur les routes, ayant rejoint une troupe de saltimbanques, François Villon n’oublie rien de son passé de coquillards, et les voleurs et autres goûteurs de vie lui restent toujours forts sympathiques. Trop. Ce qui va l’amener à être emprisonné dans les geôles de l’Evêque de Meung. Un lieu dont, dit le bourreau, nul n’est jamais ressorti vivant. La plume de Villon lui permettra-t-elle de survivre à cet enfer déchaîné par ecclésiastique?
Je, François Villon tome 3: Le martyr du héros
Rappelons pour commencer que François Villon a réellement existé. On se doute que Jean Teulé a adapté sa vie, qu’il a romancé ce qui l’intéressait le plus, mais le poète a bel et bien exister.
Et s’il a connu la moitié de ce que le personnage de cet album a vécu, alors je le plains franchement, parce que le Villon de bande dessiné souffre de bout en bout de cet opus.
Certains psychologues, le courant humaniste notamment, écrivent que l’humain a besoin de se confronter à sa propre mort pour se sentir vivant. Sans doute Villon représente-t-il cette tendance, mais comme un humain qui serait allé trop loin. On sent bien que le personnage a besoin de cette adrénaline de la transgression, du risque, pour se sentir en vie. C’est très parlant sur les deux premiers albums. Mais sur ce troisième, quelque chose casse en lui, sans doute sa foi en l’Humanité. C’est l’évêque de Meung qui lui fait perdre. Villon est torturé, longuement. Avec cruauté et sans réel motif valable autrement que par le sadisme d’un homme d’église qui cache sa perversion sous sa mitre et sa chasuble. On imagine bien Teulé adepte d’anti-cléricalisme, on peut s’interroger sur le souhait de Luigi Critone de mettre particulièrement au centre de l’histoire cet épisode. Volonté de briser son personnage ou engagement plus large?
Le premier aspect reste indéniable. Critone brise Villon, de case en case, d’expérience en expérience. Portant sa réputation comme un fardeau autant que comme une bénédiction. Une réputation qui attire les ennuis autant qu’elle crée les conditions pour s’en sortir. Mais jamais indemne. Jusqu’à la dernière scène, Villon sombre. Il perd tout, doit faire face à toutes ses erreurs, même celle d’avori fait violer sa fiancée pour rejoindre les coquillards.
De l’art de conclure une histoire en bande dessinée
Rassurez-vous, je pense ne trop rien dire de la conclusion de l’histoire ici. Pourtant, il me semble important de commenter le choix fait par Luigi Critone.
Villon a tout perdu, il subit une dernière offense. Mais c’est en silence que l’auteur termine. Sans texte, sans écrit pour nous dire quoi penser. Il se tait et laisse son dessin s’exprimer. Quatre cases, dont deux pleines pages. Un traveling arrière qui quitte Villon pour monter vers les cieux.
Que cherche donc à nous dire l’auteur? Que Villon sera plus important que sa propre vie, grâce à ses écrits, ou au contraire, qu’il n’est finalement que bien peu de choses face à l’immensité du monde? Doit-on considérer qu’il y a un ultime rappel à la beauté du monde? Comme si Luigi Critone ne souhaitait pas livrer une histoire déprimante, s’offrant une bouffée d’espoir, de liberté, en toute fin?
L’artifice est en tous cas malin. Il nous amène tous à réfléchir à notre compréhension du livre, du messages de ses auteurs. A y projeter notre propre perception des choses. Comme si c’était à nous d’émettre le dernier jugement sur Villon.
Luigi Critone et la représentation de la violence
Dernier aspect particulièrement intéressant de ce troisième tome, la façon dont l’auteur met en scène et en lumière les violences subies par son personnage.
Il se montre relativement direct. Pas gore, car il n’abuse pas de cet artifice qu’est la débauche d’hémoglobine. Mais les tortures et les pendaisons, vous en serez témoins de premier plan. On retrouve ce questionnement de Jean Teulé sur la violence, qu’il questionne de livre en livre. L’artiste italien semble pleinement se l’approprier. Et il nous montre. Les machines, leur utilisation, leurs effets. Toute la cruauté humaine est là, devant le lecteur. Avec ce filtre supportable de la représentation graphique, mais bel et bien présente. Heureusement que le trait de Critone est fin, souple, que sa mise en couleur est délicate. Il rend ainsi l’insupportable visible. Et ce faisant, nous amène à nous questionner sur ce dont nous sommes capables, nous les humains, quand il s’agit de blesser et de faire souffrir nos semblables.
Dernier tome pour cette série, qui aura permis à Luigi Critone de montrer qu’il est un artiste à part entière, de grand talent. Sans doute a-t-il pu se faire un nom, en adaptant cette œuvre de Jean Teulé. Parce qu’on sent qu’il a pensé son acte et qu’il a voulu y mettre du sens. Une véritable démarche artistique, qui fait qu’on se réjouit par avance de voir comment il reviendra vers nous à l’avenir.
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
17.75/20
Série: Je, François Villon
Tome: 3
Titre: Je crie à toutes gens merci
Auteur: Luigi Critone
Editeur: Delcourt
Date de publication: Novembre 2016
D’après le roman de Jean Teulé
Nombre de pages: 76
Le Moyen-Age en Bande Dessinée