Titre : Mort aux vaches !
Scénariste : Aurélien Ducoudray
Dessinateur : François Ravard
Editeur : Futuropolis
Date de publication : Septembre 2016
Deuxième publication sur trois pour Aurélien Ducoudray en ce mois de Septembre, dans un style très différent de l’Anniversaire de Kim Jong-Il ou d’A coucher dehors, bientôt dans ces colonnes.
Cette fois-ci, on retrouve le scénariste avec son dessinateur fétiche, celui avec lequel il a commencé la bande dessinée, François Ravard. Vous retrouverez d’ailleurs une interview de ce dernier en fin d’article et sur la page BaydayTube sur Youtube. Attention, rangez vos vieilles VHS des films d’Audiard, Mort aux vaches vient dépoussiérer le genre !
José et Ferrand sont deux vieux braqueurs en lice pour réaliser un nouveau coup. Cette fois-ci, ils s’associent avec deux jeunes gens, Romuald et son physique d’athlète et Cassidy qui n’a jamais froid aux yeux, et le casse se passe comme prévu. Histoire de ne pas se faire prendre, Ferrand propose à tout le monde d’aller se mettre au vert un moment dans la ferme de sa jeunesse, tenue par son oncle et son cousin. Mais entre la crise de la vache folle en cours, la mafia roumaine pourvoyeuse de mariées pour paysans désœuvrés, ils n’avaient pas prévu qu’il y aurait autant de volaille à la campagne.
IL Y A LES BONS CLICHÉS ET IL Y A LES MAUVAIS CLICHÉS
Alors bon, vous vous dites peut-être que le polar à la Audiard, c’est pas pour vous, et que donc ce livre ne vous concerne pas. Lourde erreur ! Je vous recommande de revenir sur vos préjugés, parce qu’Aurélien Ducoudray et François Ravard, s’ils aiment ces ambiances datées, ne sont pas de vieux nostalgiques plaçant sur un piédestal quelques auteurs de cinéma.
Oui, disons-le tout de go, on retrouve pas mal de clichés du film de genre. Les braqueurs grande gueule et sympathiques, les flics un peu neuneu ou gras du bide, les jolies pépées et tout autre chose encore. Mais Aurélien Ducoudray joue avec ces clichés. Il les utilise non pas au premier degré mais au deuxième. Il prend extrêmement de distance, et il vous retourne tous les codes un à un pour leur donner une modernité incroyable.
Le bonhomme est malin et avec lui, les sujets de société ne sont jamais très loin, quel que soit l’apparence qu’il donne à ses traitements scénaristiques. En l’occurrence, il en profite pour nous donner à penser sur la condition paysanne. Il vient redonner la parole aux éleveurs qui, pendant la vache folle, ont du se résoudre à tuer tous leurs animaux sur un simple animal malade. Le principe de précaution, qui nous a sans doute évité pas mal de maladies supplémentaires, a eu d’autres conséquences dont on ne parle pas trop. On sent l’amour que l’auteur porte à cette catégorie de personnes, les ruraux comme on les appelle aujourd’hui. Il a réalisé par le passé un reportage en ce sens, on retrouve de sacrés points communs. Mais il n’y a pas que cela, il y a aussi la solitude sentimentale des agriculteurs, traitée avec beaucoup d’humour. Et il y a autre chose, dont je ne vous parlerai pas ici pour ne pas vous priver du plaisir de la découverte. Mais ce gang de braqueurs presque typique en a en fait beaucoup plus sous le capot qu’on ne peut le croire au premier abord.
L’autre force de ce livre, c’est la caractérisation des personnages, autant graphique que scénaristique. François Ravard est définitivement un type qui dessine des gueules incroyables, et pour n’importe lequel de ses personnages, qu’il soit là pour l’ensemble de l’album ou pour quelques pages seulement. L’oncle de Ferrand est terrible, et il n’y a même pas besoin de lui donner du texte pour comprendre qui il est et ce qu’il fait. Le personnage féminin, Cassidy, est un pur bonheur, tornade de femme libérée qui emporte tout autour d’elle sans jamais perdre de vue ses intérêts de braqueuse. Et puis il y a les dialogues, pour pousser le tout. Des répliques qui fusent comme dans un bon film, de la gouaille, du second degré. Un bonheur.
Terminons en parlant un peu plus directement du travail de François Ravard. Très libre sur la mise en scène, il livre un découpage intense, et quelques pages absolument mémorables, dont il vous parlera dans l’interview. On se croirait dans un film, et c’est à lui qu’on le doit. Il est intéressant de voir comment son dessin évolue. Il est très différent de ce qu’il avait proposé dans Cliché de Bosnie, son dernier livre avec Ducoudray. On sent qu’il a gagné en maîtrise, notamment par son passage sur une série plus classique franco-belge, Les mystères de la Ve République, chez Glénat. Ça lui a donné du corps, de la tenue, et sans jamais donner l’impression de le brider. On ne peut que se réjouir d’une telle évolution. A noter que l’album est en bichromie bleue. Les planches originales en noir et blanc sont plus appréciables, toutefois.
Mort aux Vaches est un album qui va vous prendre et vous emporter, vous ne verrez pas arriver la dernière page tant le rythme est soutenu et bien dosé. Et sous couvert de bd de genre, ses auteurs seront venus vous semer plein de petites graines de réflexion sans que vous ne vous en rendiez compte. Alors, comment passer à côté ?
ET SI ON DONNE UNE NOTE?
18/20
Eh, il me tente celui là !
Le dessinateur sera à la librairie Le failler prochainement, si tu veux le rencontrer.