Catharsis (La BD de la Semaine)

Catharsis

Titre: Catharsis
Auteur: Luz
Editeur: Futuropolis
Date de publication: Mai 2015

 

Le voilà donc, ce livre publié par Luz, survivant des attaques de Charlie hebdo. Je m’en étais tenu à l’écart à la sortie. Pas par manque de soutien, j’étais dans la rue le soir des attentats, avec de nombreuses autres personnes touchées comme moi, mais peut-être par envie de mettre des choses à distance. Presque comme une période de deuil personnelle. Je savais que j’y viendrais, mais pas tout de suite. Triste coïncidence, j’ai emprunté ce livre en bibliothèque juste avant le 13 Novembre et cette nouvelle vague d’attentats. Le livre était lu, il ne restait qu’à en faire la chronique. Et j’ai attendu… Je l’ai laissé de côté, encore un peu. Toujours ce foutu deuil. Mais aujourd’hui, j’ai envie de parler, d’écrire. Luz, vous serez mon alibi pour écrire, ici, sur tous ces évènements.
Je sens que je ne vais pas respecter mon cadre habituel, laisser couler les mots à grands flots, juste vous raconter, parler, essayer de créer du lien, de penser. Avec pour support cet ouvrage qui, selon son auteur, n’est pas tout à fait de la bande dessinée pour lui. A raison, à tort. Le format est là, c’est de la bd, mais pour lui, c’est sans nul doute bien plus que cela. C’est son histoire, son vécu, et pas une histoire inventée, romancée. C’est sa thérapie, assumée comme telle, quand tant d’histoires inventées sont en fait des thérapies cachées.

C’est dingue ce que la souffrance peut produire comme œuvre d’art. Alors qu’il se dit perdu, en pleine lutte pour retrouver son dessin, Luz livre des pages brillantes, tant graphiquement que dans le fond. C’est à la fois lui, et plus encore. On retrouve parfois son style habituel, celui que l’on connaissait, mais ça ne reste pas longtemps. Son dessin s’échappe, comme s’il était l’émanation de son psychisme. Son dessin pleure, son dessin rit. Littéralement. Parfois même il part en distorsion complète, mettant en scène son mal-être qui le vrille et lui fait perdre toute cohésion. Il est parfois extrêmement poétique, parfois extrêmement terre à terre. Il revient autant sur ses propres peurs que sur les évènements tels qu’il les a vécu. Et sur la bêtise de tout cela. La séquence où Luz repart en 1992 et fait dessiner deux gamins est terrible dans sa simplicité et dans le questionnement qu’elle induit, puisque ces deux enfants sont les deux frères Kouachi eux-mêmes. Enfants, ils sonnent juste, ils sont comme tant d’autres. Et adultes, ils en deviennent encore plus terrifiant, tant le fossé qui s’est creusé en eux paraît abyssal.
Et puis il y a ce besoin de vie, cette pulsion de vie qui s’exprime tout au long de l’album à travers les scènes d’amour sexuel entre Luz et sa compagne. Là encore, on retrouve toute la complexité de cet homme, brisé et éparpillé, mais avec le besoin d’aimer, de se donner sans relâche à l’autre. Les scènes sont souvent esquissées, Luz ne cherche pas le réalisme, le voyeurisme d’une partie de jambe en l’air qui a sans doute eue lieu. Il vient chercher l’essence, le coeur de l’acte, les besoins qu’il satisfait réellement. Et là encore, il est brillant.
Et il y a Ginette. Et je ne rends compte que je n’ai pas envie de parler d’elle, de sa boule au ventre qu’il incarne et nomme. Je ne sais pas pourquoi moi, je ne veux pas la voir, n’ai pas envie d’en parler. Comme quoi, même après tant de temps, et tant de distance personnelle, on peut rester marquer.

Mais il reste la dernière page de ce livre. Cette compréhension que Luz acquière, cette lumière qu’il voit. Il est en train de se réparer, il est en train d’aller de l’avant. Et le voilà avec l’envie de donner la vie, comme pour faire un nouveau doigt d’honneur à la pulsion de mort qu’incarnent les terroristes. Une dernière image qui fait du bien…

Mais qui ne suffira pas… Qui ne suffira pas pour que tout cela cesse, pour que des jeunes coupés de tout, revenus de tout, en viennent à avoir besoin de tuer pour se sentir exister. A avoir besoin de mourir pour se sentir enfin appartenir à quelque chose.
Notre société est malade, Luz, je me doute que tu le sais mieux que quiconque. Et je suis triste aujourd’hui, Luz. C’est jour d’hommage national, alors que j’écris ces lignes, et je m’en fous. Et je perds mon envie de m’unir à tous ces gens qui veulent que tout continue comme avant, alors que c’est justement cet avant, qui a produit ces Kouachi, ces Abdeslaam. tous ces gens qui continuent de se couler dans une société qui ne produit plus de vivre ensemble, qui vante seulement les mérites individuels. Qui ne produit plus de sentiment d’appartenir à quelque chose qui vaille le coup.
Je n’ai pas envie d’être eux Luz. Serais-je en train de venir un peu Charlie en fait? De refuser plus massivement encore ce système nuisible et violent? Je serai en fait, réellement Charlie?

Et si c’était ça, en fait, vraiment, être Charlie Hebdo?
Merci Luz, merci pour ce moment (ah ah ah). Merci de m’avoir envoyé chez les sans-dents après m’avoir bien claqué la gueule.

ET SI ON DONNE UNE NOTE?

19.5/20

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17 réflexions sur “Catharsis (La BD de la Semaine)

  1. Splendide billet ! Je pensais ne pas lire cette BD. Pour tout un tas de raisons. Maintenant, grâce à toi, j’en ai envie. Merci 😉

  2. Chronique fort émouvante…
    Je ne suis pas fan du dessin au départ mais pour le thème, je le lirai peut-être.

  3. Ton très beau billet, bravo !, me fait plaisir car je me rappelle du peu d’enthousiasme que j’avais suscité avec le mien.

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  5. Pingback: Catharsis – Luz – Au milieu des livres

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