Portraits par Florian Belmonte (Montage Yaneck Chareyre)
Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray, vous êtes les scénaristes de Bob Morane Renaissance. Un reboot, un personnage commercial… Messieurs, vous ne nous aviez pas habitué à cela. Comment vous êtes vous retrouvés sur ce projet?
Luc Brunschwig: Avec l’envie de réussir ce que les américains sont capables de faire. Imaginez que les américains fassent Batman aujourd’hui comme le faisait Bob Kane à sa création… Est-ce que Batman aurait le succès qu’il a? Certainement pas. Et pourtant en France, on traite systématiquement toute forme de reprise de cette façon là. On est incapable de sortir de cette logique, tout en ne comprenant pas que les américains y arrivent eux. J’ai eu la chance d’avoir un éditeur qui me proposait un personnage en me demandant ce que j’avais à proposer. Open bar! Proposes nous quelque chose.
Sur la journée j’ai réfléchi à deux choses. Savoir si je pouvais faire quelque chose du personnage, s’il pouvait exprimer des choses qui m’intéressaient. Quand j’ai compris que c’était un aventurier qui traversait le monde depuis quelques années, je me suis dis que c’était une évidence. Le regard sur le monde, c’est mon truc. De tous les personnages de la bd française, c’était celui qui me permettait de dire le plus de choses sur toutes les thématiques qui m’intéressent. Par contre ça oblige effectivement à le ramener dans les années 2015 voir à envisager un regard sur l’avenir, parce qu’il y a beaucoup de choses qu’on pressent pour l’avenir et dont on avait envie de parler avec Aurélien. Et donc de créer des histoires dynamiques. Je suis un fan absolu de cette vague de scénariste qui sont convaincus qu’on peut raconter des choses profondes sans ennuyer son lecteur.
Il y a donc deux lectures, une sur le rythme du bouquin, sur son dynamisme, et l’autre sur ses thématiques. Sur les pistes qu’on lance.
Aurélien Ducoudray: Luc m’a passé un coup de fil, en me disant qu’il avait une proposition pour un gros truc, un reboot de personnage. Et qu’il dirait non si je ne faisais pas ça avec lui. Mais que je devais dire oui, avant de connaître le nom du dit personnage.
C’est Luc qui m’a permis de faire ce métier, alors de passer d’élève à partenaire, ça ne pouvait que me faire plaisir. C’était à la fois une marque de confiance de sa part, et le moyen pour moi de lui piquer encore deux ou trois trucs de scénaristes.
Quand il m’a donc révélé le nom de Bob, ça m’a quand même fait réfléchir. Le personnage me semblait assez loin de moi. Pourtant, faire NOTRE Bob, c’était carrément excitant, au final.
Une question qui pique, Luc. Tu parles de cette méthode américaine, mais est-ce que c’est bien obligatoire de procéder ainsi? Est-ce grave de laisser mourir une série?
L: Si elle n’a plus rien à dire autant la laisser mourir. Mais si elle a quelque chose à raconter…
Après oui, on peut partir du principe qu’un reboot née du fait qu’une historie a été déjà racontée et se trouve racontée à nouveau d’une façon moderne et qu’après y’a plus grand chose à dire. On s’est beaucoup enthousiasmé sur la renaissance d’Iron Man au cinéma, et on se rend compte qu’en rénovant une naissance iconique on recrée de l’intérêt et que dès qu’il s’agit de raconter quelque chose au delà, il n’y a plus grand chose à raconter. Ce qui donne des films vides et ennuyeux. Ce qui était important c’était le personnage de Tony Stark, c’était ça qu’il fallait creuser, pas les scènes d’action.
Quand on aborde un personnage vieux de plusieurs décennies, avec plusieurs visages, comment choisit-on celui que l’on va lui donner?
A: D’abord, en se demandant ce que nous, on veut pour ce personnage. Puis ensuite, en réfléchissant à comment le raccorder avec ce qui était déjà existant. On s’est rendu compte que ce que nous voulions nous, était déjà en germes dans l’histoire du personnage.
Les ultras qui nous attaquent, j’attends qu’ils lisent cet album. Et s’ils disent que ce n’est pas Bob Morane, il va falloir qu’ils argumentent solidement. Nous n’avons fait que l’actualiser avec nos envies. Tout était là déjà.
Et en l’occurrence, nous avons mis l’accent sur la géopolitique. Ce sont toujours des sujets complexes et compliqués, parfois un peu difficile à développer en bande dessinée. A moins d’avoir un bon personnage pour le faire. Et nous, maintenant, on l’a, ce personnage.
Sur le premier cycle, on a choisi de traiter de l’Afrique noire, mais dans le second, nous partirons pour l’Ukraine. Pas celle de maintenant, une Ukraine du futur. Mais sincèrement, il n’y a pas besoin de s’appeler Madame Irma pour savoir comment ça va tourner…
L: On est vraiment parti de la source. D’essayer de comprendre pourquoi un homme aujourd’hui aurait envie de générosité. De dégager de la voie normale. On s’est dit qu’on ne pouvait pas le faire juste avec un homme qui prend la décision de devenir généreux. On a voulu partir d’un homme qui avait eu la possibilité d’être généreux, de manière officielle. C’est pour ça qu’on l’envoie au Nigéria, qu’on lui donne des fonctions de conseiller, pour mener des actions humanitaires. Et on lui fait se rendre compte que l’aboutissement des choses qu’il a engagées ne correspond pas à ce qu’il aurait aimé que ce soit. Qu’on a utilisé sa générosité pour des choses qui vont à l’encontre de ses convictions.
On a voulu malmener le personnage, lui faire comprendre son envie de générosité et le fait qu’il ne peut pas la mener d’un point de vue officiel. S’il veut aller au bout de son désir, il va devoir faire ses choix, dans son propre cadre.
Cet album est-il une œuvre politique? Engagée?
A: Un album politique? Oui, on peut dire ça… Education contre nourriture, c’est carrément politique. On s’inspire de l’actualité, de documentaires, ce qui nous aide à incarner tous ces problèmes. C’est ça, qui m’a intéressé, sur ce reboot.
Qu’est-ce que Bob incarne? Lui pense aller dans le bon sens, mais au fil des albums, il va se questionner en profondeur. Les erreurs, à mon sens, ce sont les charnières des bonnes histoires. Je me méfie des bonnes idées pour aider le Tiers-Monde, les idées faciles. Bob va se nourrir de tout ça.
Dans le deuxième cycle, on va mettre l’accent sur les sociétés militaires privées. Ce sont de supers moyens d’actions, mais en fait très dangereux. On va mettre Bob à la tête d’une d’entre elle, pour voir ce qu’il en fait et comment il se plante avec. Ce sont vraiment des questions importantes, ces sociétés. Depuis la guerre en Irak, elles sont essentielles. Et la convention de Genève, ces trucs là, elles s’en foutent. Elles cultivent le secret, elles développent un marché à prendre. Bob gardera-t-il ses convictions à leur contact? En utilisant des forces privées pour le bien public? Réponse dans les prochains albums.
L: Etre aventurier aujourd’hui, c’est prendre sa liberté. On n’est pas loin de l’anarchie, au sens politique du terme. La conviction que le gouvernement est un cadre contraignant et que les gens sont capables de faire leur propre bonheur eux-mêmes. Pour nous, Bob Morane n’est pas loin d’être un anarchiste. Comme Corto Maltese.
Et c’est curieux, mais Bob Morane me permet d’une certaine façon d’aller plus loin que le Pouvoir des Innocents, dans mon évolution politique. Parce qu’on pourrait penser que je suis en retrait sur Bob Morane, mais en fait non. C’est un personnage qui me permet d’aller très très loin dans mes propres convictions politiques.
La présence d’éléments de science-fiction dans le récit était-il une évidence?
A: Puisqu’on situait notre récit dans dix ou quinze ans, il nous fallait suivre une évolution technologique probable. Mais on n’a pas inventé grand chose. Aujourd’hui, il y a déjà des casques qui déclenchent des décharges d’électricité par la pensée, pour permettre à des hommes d’avancer. La liaison cerveau-ordinateur est quasi faite… C’est de l’anticipation plus que de la science-fiction, que nous proposons. Les nouvelles technologies entrainent de nouvelles questions et de nouvelles responsabilités. Et ça, c’est bon pour notre histoire.
L: On traite de sujets de société très ancrés dans la réalité avec Aurélien. Sur Bob, on avait envie de gratter les thématiques des années à venir. Les casques neurotech, ils ont forcément des incidences multiples sur le monde. En fait, les quatre premiers cycles vont revenir sur la présence de ces casques dans le monde. Bob étant à l’origine de la diffusion de ces casques, et donc il va se sentir une responsabilité. Ce qui fera son premier combat, éradiquer ces casques nocifs pour le monde.
Pour cette histoire, Aurélien vient de nous expliquer comment tu étais venu le chercher Luc. Mais plus techniquement, comment avez-vous travailler ensemble?
A: Moi je jetais les scènes. J’écrivais les grandes lignes, les dynamiques… Luc passait ensuite pour mettre ça dans une forme plus rigoureuse, comme il sait le faire. Et on fonctionnait en discutant beaucoup au préalable, avant de passer à l’écrit.
L: On a surtout posé les personnages dans un premier temps. On avait besoin de les sentir, ces personnages, d’avoir une consistance physique qui puisse nous apporter quelque chose. Et Dimitri Armand est arrivé très vite dans le projet en apportant plus que ce que nous avions en tête. Ca relançait la machine à raconter les histoires.
Comment Dimitri Armand est-il arrivé sur le projet, au dessin?
L: Dimitri c’était le premier choix de Gauthier Van Merbeek, le directeur éditorial du Lombard, qui nous a proposé son nom alors qu’avec Aurélien ça faisait quelques mois qu’on cherchait les noms de gens pour le dessin. On ne savait pas Gauthier avait déjà un nom en tête. Quand il nous a annoncé ça, Gauthier devait partir en vacance et nous le présenter ensuite. On s’est demandé si Dimitri Armand était sur Facebook, il y était, on l’a choppé à deux, et on a bien discuté pendant deux bonnes journées. On s’est rendu compte que c’était quelqu’un de très proche de notre façon de voir la bd. En plus Gauthier lui avait déjà montré notre dossier scénaristique, et lui avait déjà commencé à penser les personnages. Quand on a vu sa proposition sur Bill Balantine, là on s’est dit « putain quoi »… La modernité on l’avait, avec un personnage qui a du corps. La version hirsute, c’est lui. Nous, on s’est assuré qu’il soit dans le bouquin comme ça, puni, cassé pour ce qu’ils ont fait ensemble avec Bob. Ca éloigne les personnages au départ, mais ça nous a permis de construire un lien super fort entre eux.
A: Je dois reconnaître que Dimitri possède un dessin vers lequel je ne vais pas spontanément, qui d’habitude, ne m’inspire pas spécialement. Mais Bob Morane, c’est une écriture différente de ce que je fais d’habitude. Je comprends maintenant que j’étais presque dans une erreur culturelle. C’est un artiste qui sait se mettre au service du personnage. Il n’y a pas, comme je le croyais, une forme d’égo de l’artiste, dans une belle planche qui en jette. Pas chez lui.
Je n’ai jamais vu un artiste renvoyer autant de retours, aussi enthousiastes. Il a posé plein de petites questions, il n’a pas arrêté de nous faire chier sur des détails. Et ça a donné une superbe relation, un superbe investissement. Tout ça en dessinant son western, Sykes, je le rappelle.
On l’a amené à dessiner plein de scènes qu’il ne pensait jamais faire, et moi, ça m’a ouvert un nouvel horizon.
Pour finir, je vais vous poser la question que beaucoup de lecteurs se posent déjà: quel avenir pour vous sur cette série?
L: On part déjà sur huit albums, quatre cycles… On peut être là pour les trente prochaines années… Je ne veux menacer personne mais bon… On se doute bien que si c’est un four immédiat il n’y aura pas des suites ad vitam eternam. On va tenter un démarrage fort, pour avoir une base de lectorat immédiatement présente. Si ça ne fonctionne pas, on en tirera les conséquences.
Merci à tous les deux, et bonnes chances pour Bob Morane Renaissance!
Crédits:
Photographies:Avec l’autorisation de Florian Belmonte (http://florianbelmonte.com/)
Dessins: Brunschwig/ Ducoudray/ Armand (Editions Le Lombard)
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