Revenants (La BD du Mercredi)

Revenants

Titre : Revenants

Scénariste : Olivier Morel

Dessinateur : Maël

Editeur : Futuropolis

Date de publication : Août 2013

J’aime Futuropolis. Je ne dis pas cela parce que je travaille avec eux, je dis cela parce qu’ils publient des ouvrages comme celui-ci, des ouvrages qui sont à la fois des expériences graphiques et des vecteurs de réflexion. Revenants, c’est tout cela. C’est du réel, c’est du concret, c’est une baffe pour le lecteur.

Revenants, c’est l’histoire du tournage d’un film, un documentaire appelé l’âme en sang, consacré aux vétérans de la guerre en Irak. Celle de Georges Bush Jr. Ce sont les premières rencontres, les doutes des témoins, leur colère. C’est aussi l’impact de nombreuses histoires sur un homme qui ne pensait pas qu’il serait touché à ce point. C’est une histoire de l’Amérique que l’on cache, celle des soldats qui ont fait la guerre, en sont revenus. Vivants ? Sans blessures physiques, ça oui. Mais meurtris à jamais.

Voilà ce que je veux lire, dans la bande dessinée actuelle. Je veux ce propos engagé, ce témoignage qui vous prend aux tripes, qui vient mettre dans la lumière les pires tourments de l’humain. Depuis Maus, on sait que la bd peut faire ça. Et à chaque fois qu’elle le fait, il faut le mettre en avant, braquer les projecteurs. Pour le media, mais surtout pour nous lecteurs, récepteurs de ce message. Les hommes et femmes que rencontre Olivier Morel savent ce que c’est que la guerre. Ils sont passés au-delà du « lavage de cerveau » advenu pendant l’entraînement des marines. Ils se sont souvenus qu’ils étaient humains, et que leurs actes ne l’étaient pas. Heureux les ignorants et les simples d’esprits, dit, me semble-t-il, la Bible. Non parce que le royaume céleste leur appartient, mais parce qu’ils peuvent vivre malgré les horreurs commises. Celui qui a vu, qui a compris, souffre à jamais. C’est le témoignage de ces américains que rencontre Morel. Qui s’est acharné à la mitraillette sur un corps dans la nuit. Qui a braqué son fusil sur des enfants qui ne percevaient plus que la folie et le doute. Qui a torturé des prisonniers dans la prison d’Abou Grahib. Ils sont tous passés au-delà de la propagande, à ce moment là. Malheureusement pour eux, heureusement pour l’espèce humaine. Ils sont le réflexe humain, ils sont la norme. Mais dans cette société qui ne sait pas faire autre chose que la guerre, ils sont l’exception, la tâche sur le drapeau de la victoire, du patriotisme, de la solidarité avec les soldats. La première des solidarités aurait été de ne pas les envoyer mener une guerre inique, l’invasion d’un pays étranger. Mais les intérêts humains ne comptent pas devant les intérêts marchands. Aussi sont-ils ignorés, transparents. L’Amérique ne veut pas les voir, parce qu’ils remettent en cause le modèle de société basée sur la violence. Ils hantent certains débats publics. Ils sont revenus, ce sont des revenants.

Et si les rencontres d’Olivier Morel, et son propre parcours, sont déjà édifiants, il faut bien dire que le travail de Maël, le dessinateur, ne fait que renforcer la puissance de ce récit. Un travail en noir et blanc, assez fidèle au trait que l’on a pu connaître chez cet artiste, sur Notre-Mère la Guerre, notamment. Mais il n’en est pas resté là, il a poussé sa réflexion sur la place du dessin et de la couleur, surtout, dans cet ouvrage. Ainsi donc, il met en scène les traumatismes de la guerre par l’adjonction d’une aquarelle couleur sanguine. Il teinte de sang les souvenirs des vétérans, ce qui est parfaitement adapté au propos. Plus encore, il teinte de sang les témoignages de certains proches marqués eux aussi, voire même du réalisateur-scénariste, montrant ainsi comment ce travail marque et touche au plus profond l’artiste lui-même, qui n’aura pu rester à distance. C’est fort, c’est beau, c’est intelligent.

Et c’est cela, la bande dessinée. Une histoire et un dessin qui s’épousent parfaitement, qui se complètent et se subliment. C’est ça, Revenants, ce n’est pas autre chose. C’est de la grande bande dessinée, c’est un album que l’on peut insérer dans sa bibliothèque avec fierté.

Revenants_ plancheLogo BD Mango orangetopbd_2013

19.25/20

26 réflexions sur “Revenants (La BD du Mercredi)

  1. Non Yaneck, non ! C’est celle que je vais lire ce soir ! Je me réserve toute la surprise (j’ai quand même regardé ta note qui m’a fait sourire). Je suis presque quasi sûre d’aimer parce que c’est Futuropolis, parce que c’est le type même de bd qui me parle, me touche, … Je reviendrais te lire !
    Bises

  2. Rah…… Enfin quelqu’un qui avait le temps de commenter cette chronique dont je suis super fier, je trépigne sur place, et c’est pour me dire que tu ne peux pas la lire??? Monde cruel! ^^
    Bon, du coup, j’espère qu’elle te touchera autant que moi, et que je pourrai passer te lire à mon tour.

  3. Quel bel enthousiasme ! Je viens de plus en plus vers ce type de BD, celle ci a l’air de réunir tous les ingrédients pour que je sois séduite ! Notée !!

  4. Moi aussi, pour ce que j’en connais (pas grand chose…) j’aime beaucoup Futuropolis ! Et ce que tu dis de cet album me tente vraiment beaucoup !

  5. Très beau billet. Je ne vois pas comment il va être possible de passer à coté d’un tel album.

  6. J’aime beaucoup les propositions et le travail des éditions Futuropolis et j’apprécie particulièrement ces témoignages engagés (j’ai lu Gaza 1956 et Reportages de Joe Sacco et je prévois de lire prochainement les Cahiers russes et les Cahiers ukrainiens d’Igort aux mêmes éditions). Voilà donc un nouveau titre qui vient s’ajouter à ma pile à lire. Belle chronique en tous cas.

  7. Merci à toi.
    Je suis en pleine période de transfert d’un blog à un autre. Je viens de te rajouter mes chroniques pour Gaza et les cahiers russes, si ça t’intéresse. Dans la catégorie « bd engagée ».
    Et je suis passé vite fait sur ton blog, je sens que je vais y revenir pour prendre le temps de te lire et d’apporter le débat une fois ou deux ^^

  8. SI j’ai bien compris, ce blog est le nouveau. J’ai vu que tu avais rajouté tes chroniques sur Gaza 1956 et Les Cahiers russes. Je vais découvrir celle de Gaza 1956 pour commencer. Je reviendrai après avoir lu les Cahiers russes.
    Sinon, bienvenu sur Les Embuscades à l’occasion.
    A bientôt, donc !

  9. Waouh! Quelle note élevée tu donnes à cet album. Je dois donc le lire absolument: j’aime être fière de mes lectures! (Désolée de mon passage très en retard mais je suis débordée en ce moment!

  10. Me revoilà. Je l’ai lu et c’est un coup de coeur tu t’en doutes. C’est tout ce que j’aime. Ton article est magnifique Yaneck !

  11. Ecoute, je suis ravi d’être tombé juste, c’est toujours un peu un pari, quand on décide de défendre une oeuvre. J’espère qu’on lira prochainement ton avis sur ton blog.

    Et merci pour le compliment. C’est un article (album) que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire (lire).
    Ravi d’avoir su partager ce plaisir.

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